Thaïlande 2015

Thaïlande

Cabotage (11) Songkhla, port de pêche

Après la Malaisie, Singapour et l’Indonésie, je fais escale au Sud-Est de la Thaïlande, à Songkhla, un important port de pêche où je compte passer un certain temps…

Jour un. Arrivé à Songkhla en début d’après-midi. La ville, située à 80 kilomètres au Nord de la frontière avec la Malaisie, est bâtie sur une étroite langue de terre qui sépare le golfe de Thaïlande, à l’Est, du lac Songkhla, à l’Ouest. Un chenal de quelque trois cents mètres de large, suffisamment profond pour permettre le passage de petits cargos, fait communiquer les deux espaces aquatiques.

Le lac Songkhla n’en est pas un (de lac). C’est un complexe de trois lagunes d’une superficie totale de 1040 km2. La première, au Sud, s’ouvre sur le golfe de Thaïlande au niveau de la ville de Songkhla et contient des eaux saumâtres (salinité : environ la moitié celle de l’océan). La deuxième, la plus grande, près de 800 km2, contient de l’eau douce. La troisième, le « petit lac », tout au nord, séparée de la précédente par une forêt de mangrove, contient de l’eau douce, très limoneuse.

Jour deux. Ça commence tôt le matin par un café accompagné de beignets pris dans une cantine proche du port de pêche. L’économie de la ville et la vie d’une grande partie de ses habitants sont basées sur la pêche et l’aquaculture : industrielles et produisant pour les principales enseignes de la grande distribution mondiale, artisanales et pratiquées par des milliers de familles qui consomment une partie de leur pêche et commercialisent le reste sur le marché local. Autour des produits halieutiques induit se développent une série d’activités induites, allant des entreprises de transformation et de conditionnement des produits de la mer (28 entreprises enregistrées) aux chantiers navals, en passant par les organismes de contrôle et de recherche scientifique (Fish Inspection And Research Center, National Institute Of Coastal Aquaculture), les fabricants de glace, les marchands de matériel de pêche ou de marine, les ateliers de mécanique, les restaurants, les bars et salons de karaoké… sans oublier un centre Stella Maris qui consacre une grande partie de son activité à venir en aide aux marins-pêcheurs victimes du travail forcé.

La Thaïlande est l’un des principaux exportateurs mondiaux de produits de la mer (7 milliards de dollars en 2013). Mais la viabilité économique du secteur est menacée : les eaux du golfe de Thaïlande et de la mer d’Andaman sont parmi les plus exploitées du monde et victimes de la surpêche. Avec la réduction des stocks de poisson, les pêcheurs voient les volumes et la qualité de leurs prises diminuer… alors que les coûts augmentent (entretient des navires, modernisation des équipements, prix du diesel). Dans le même temps, du fait des conditions de travail pénibles et dangereuses qui y prévalent, des bas salaires et d’un chômage quasiment nul dans le pays, la pêche industrielle thaïlandaise souffre d’un déficit chronique de main d’œuvre (en 2012, la National Fisheries Association of Thailand estime à 50.000 le déficit en marins-pêcheurs). Pour y pallier, les armateurs font appel à une main d’œuvre de travailleurs immigrés, principalement birmans et cambodgiens, qui constituent aujourd’hui environ les deux-tiers des équipages des flottes de pêche industrielle.

Souvent en situation irrégulière, ces migrants sont des proies faciles pour les réseaux de trafiquants qui les revendent aux patrons de bateaux de pêche. Embarqués pour des campagnes qui peuvent durer plusieurs mois, voire plusieurs années, ils se retrouvent privés de tout droit, contraints de travailler plus de quinze heures par jour, dans un milieu hostile (beaucoup ne savent pas nager), à la merci de capitaines qui n’hésitent pas à tabasser les récalcitrants ou à utiliser le revolver dont ils ne se séparent jamais (de nombreux témoignages de migrants, qui sont parvenus à s’enfuir en se jetant à la mer, font état de marins abattus par le commandant).

Ces dernières années, plusieurs reportages bien documentés publiés par de grands médias occidentaux (The Guardian : How the Thai fishing industry trafficks, imprisons and enslaves), des associations de défense de l’environnement et des droits humains (EJF : Sold to the sea) et des rapports d’organisations des Nations Unies (OIT : Employment practices and working conditions in Thailand’s fishing sector) ont dénoncé les conditions de travail épouvantables de ces marins-pêcheurs birmans et cambodgiens réduits en esclavage.

En avril 2015, l’Union Européenne a donné 6 mois à la Thaïlande pour se mettre en règle avec la législation européenne concernant la « pêche illicite, non déclarée et non contrôlée (INN) »… j’y reviendrais dans le prochain article.

Jour trois. Un embarcadère donnant sur le lac, juste à côté du marché central. Plusieurs bateaux-taxi, l’un d’eux s’apprête à larguer les amarres, je saute à bord et, après une traversée de quelques minutes, me retrouve sur l’autre rive, dans le village de Hua Khao. Beaucoup de maisons sur pilotis. Des pontons leur tiennent lieu de balcon ou de terrasse. Et sur toute l’étendue du lac, d’innombrables perches fichées dans la vase, nasses, guérites de pêcheurs, bouées, piscines d’élevage, carrelets dessinent une calligraphie délicate sur la page d’eau calme. Un pêcheur s’apprête à aller nourrir les poissons de ses piscines d’élevage. Il me propose de l’accompagner. Pas de dialogue possible (je ne parle as un mot de thaï, lui pas un mot d’anglais) mais j’arrive quand même à savoir qu’il s’appelle Kassim. Pour le reste, je me contente de regarder. De retour au ponton, je propose un peu d’argent. Il refuse. Son invitation n’avait d’autre motif que la fierté d’un pêcheur à faire connaître son travail. Merci Kassim – je lui dois la série de photos qui accompagne cet article.

… à suivre

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