Indonésie 2015

Indonésie

Cabotage (10) Karimun Besar (suite)

Le cargo était déjà là quand j’ai débarqué à Tanjung Balai, sa coque bleue occupant toute la longueur du quai, avec son nom inscrit dessus en lettre blanches : Bhaita Jaya Prima.

Entre deux cafés à la cantine de l’embarcadère pour les îles de Parit et Tulang, je retourne du côté du port, pour voir. Le Bhaita Jaya Prima est toujours là. Des camions stationnent sur le quai. Les dockers bossent. Je discute avec un chinois qui supervise de déchargement : le cargo appartient à une compagnie indonésienne, jauge 2000 tonneaux, est arrivé de Jakarta quelques jours plus tôt, reprendra la mer dans le courant de la semaine prochaine.

Un navire de commerce, même un petit cargo, plus tout neuf, comme le Bhaita Jaya Prima par exemple, ça représente un joli paquet d’oseille, alors imaginez un super-tanker ou un porte-conteneurs de 300 mètres de long ! Mieux vaut sortir couvert ! Aussi, les armateurs de flottes commerciales souscrivent-ils des polices assurant bateau et cargaison contre les « fortune de la mer » – ce n’est pas une formule poétique, non, juste un terme juridique en usage dès le XVIIème siècle pour désigner les accidents auxquels est exposé un navire : tempête, naufrage… pirates.

En 2005, le Rapport Lloyd, publié par le Joint War Committee, classe le détroit de Malacca au même niveau de dangerosité qu’une vingtaine d’autres « zones de guerre ». Aussitôt, les tarifs des polices d’assurance pour les navires qui transitent par le détroit (1/3 du commerce maritime mondial) grimpent en flèche. Les compagnies maritimes, qui doivent déjà faire face à la hausse des prix du pétrole, crient aux coûts opérationnels démesurés, en appellent aux états de la région et demandent la révision du rapport Lloyd.

Au tournant du millénaire, l’Asie du Sud-Est connaît un regain des actes de piraterie qui avaient été presque totalement éradiqués de la région (75 attaques dans le détroit de Malacca et 119 ailleurs au large de l’Indonésie pour l’année 2000). Le crise asiatique de 1997/98, dont l’impact se fait durement sentir à Batam et dans l’archipel de Riau, n’est peut-être pas totalement étrangère à cette recrudescence et les prix élevés du pétrole contribuent à rendre le détournement de (petits) tankers particulièrement rentable. Le niveau de risque doit cependant être relativisé : les gros navires ne sont jamais attaqués, la grande majorité des actes de piraterie se limite au vol de carburant et d’effets personnels de l’équipage et visent des chalutiers, des barges ou des remorqueurs, quant au degré de violence, il reste très limité – rien à voir avec le motus operandi des pirates somaliens.

A partir de 2004 et plus encore après la publication du rapport Lloyd, les états côtiers – Singapour, Malaisie, Indonésie, Thaïlande – se mobilisent contre la piraterie afin d’améliorer l’image de la région. Des patrouilles coordonnées sont mises en œuvre conjointement par l’Indonésie et Singapour, l’Indonésie et la Malaisie, la Malaisie et la Thaïlande pour empêcher les pirates qui traversent les frontières maritimes du détroit de se réfugier dans les eaux du pays voisin une fois l’attaque perpétrée. Moyens de communication, systèmes de suivi des navires et d’alerte sont également renforcés. Les pirates font profil bas dans les années qui suivent.

Une nouvelle hausse des actes de piraterie est enregistrée à partir de 2010 et, avec certaines fluctuations, dans les années suivantes. Ils ne se limitent plus au détroits de Singapour et de Malacca. Les pirates mènent aujourd’hui des opérations jusqu’en mer de Chine Méridionale, dans le golfe de Thaïlande et au large de la péninsule malaise, souvent à partir de bateaux mère. L’utilisation d’armes de plus gros calibre et un niveau de violence supérieur ont également été constatés dans plusieurs cas… Ces opérations de plus grande envergure pourraient être le fait de gangs liés au crime organisé (Triades chinoises).

Une échelle métallique est accrochée au bordage du cargo. Je peux ? Le chinois hausse les épaules, me dit d’être prudent. Je grimpe. Les panneaux d’écoutille sont ouverts sur le ventre du navire : la cale, fosse béante enjambée en son milieu par une arche métallique supportant une grue embarquée. Au fond, une équipe de dockers empile puis amarre des sacs de ciment : ni filet, ni palonnier, juste une grosse corde à laquelle on accroche l’élingue et hop ! une trentaine de sacs pris au lasso s’envolent à chaque fois jusqu’à la plateforme arrière d’un des camions garés sur le quai où d’autres dockers les réceptionnent. Les sacs de ciment, marchandise la plus lourde, occupent tout le fond de la cale, on les a gardé pour la fin. Au dessus, il y avait quelques conteneurs (aucune idée du contenu), des packs d’eau minérale, des boissons gazeuses et d’autre cartons marqué d’un logo « fragile ». Je ne demande pas à mon interlocuteur chinois s’il s’agit de produits de contrebande, ni si le cargo fait son plein de diesel en pleine mer, auprès d’une barge qui revend du carburant volé… évidemment.

… à suivre

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