Thaïlande 2015

Thaïlande

Cabotage (14) Songkhla, port de pêche (suite 3)

La maman du poisson – pourtant si gentille – a des soucis avec une paire de bateaux-mère : aïe ! aïe ! aïe ! ma mer…

Les bateaux-mère sont un écran de fumée efficace mais, pour blanchir les prises, deux précautions valent mieux qu’une… A son arrivée à quai, des commerçants, intermédiaires connus sous le vocable d’origine chinoise Yi Bua, achètent le poisson de différents bateaux qu’ils revendent ensuite aux distributeurs patentés et aux usines de transformation, ajoutant encore à l’opacité qui entoure l’origine du poisson.

Jour dix. Fin d’après-midi sur le port de pêche, temps couvert, la pluie menace, le ciel et la mer sont gris. Au bout du quai est amarré un bateau de plus fort tonnage que les autres. C’est un bateau-mère (voir article précédent). J’en ai remarqué plusieurs qui se ressemblent comme des frères, tous la même coque de métal, la même couleur uniformément bleu sombre de la ligne de flottaison jusqu’aux superstructures. Celui-là est au port depuis un peu plus d’une semaine et ne devrait pas tarder à reprendre la mer. Sur le quai, attendent des montagnes de bidons, vides, qui iront bientôt rejoindre ceux déjà empilés sur le pont et le toit du château arrière. Un marin pisse dans l’eau par dessus le bastingage. Un autre est allongé dans un hamac tendu entre les montants d’une galerie qui flanque le poste de pilotage et la cabine servant de dortoir à l’équipage d’où sort une musique disco.

Jour onze. « Halte au trafic d’êtres humains », « Non au travail des enfants », « Système de géolocalisation électronique »… accrochés à l’entrée du port de pêche et sous la halle, plusieurs calicots témoignent de la campagne du gouvernement pour redorer le blason terni de la pêche thaïlandaise.

Jour douze. Quelques jours plus tôt, ils ramendaient des filets. Puis ils ont rempli la cale de glace. Et ce matin, le capitaine brûle des bâtons d’encens, agenouillé devant un autel improvisé où sont déposées des offrandes – tête de cochon de lait et poulet rôtis, gâteaux de riz, beignets, ananas, pastèque, noix de coco, goyaves, bananes, papayes, bouteille d’eau minérale, collier de fleurs de lotus : l’appareillage est imminent et, dans la perspective de longs jours en mer, mieux vaut ne pas lésiner pour se concilier la bonne grâce de divinités qui, au gré de leur humeur, rempliront vos filets comme une corne d’abondance, vous joueront des tours pendables ou, c’est le plus probable, vous laisseront vous débrouiller tout seul – et là, c’est pas gagné !

Dans le golfe de Thaïlande, les captures par unité d’effort (CPUE) – indice utilisé pour estimer l’abondance des stocks – sont passées de 300 kilos/heure en 1961 à 17,8 kilos/heure in 2010. Conséquence de la raréfaction des espèces à haute valeur marchande, la pêche industrielle se rabat sur tout ce qu’elle trouve et le pourcentage des prises secondaires augmentent. A Songkhla, elles représentent aujourd’hui près des deux-tiers du poisson débarqué par la flotte de pêche industrielle.
Les prises secondaires sont généralement constituées de petits poissons, à faible valeur commerciale, méprisés des consommateurs des pays importateurs. Elles constituent le matériau de base des usines de fabrication de farine, huile de poisson et aliments pour chiens et chats. L’intérêt croissant de la pêche industrielle pour les prises secondaires n’est pas sans conséquences. 1) Aux espèces adultes de taille réduite se mêle une quantité non négligeable de larves, alevins et juvéniles, dépourvu de valeur commerciale à ce stade de leur développement, mais qui n’en sont pas moins indispensables au renouvellement des stocks. 2) Nombres d’espèces délaissées par les consommateurs européens, états-uniens ou japonnais, sont ciblées par la pêche artisanale pour la place qu’elles tiennent dans l’alimentation des communautés locales.

Le bateau mesure une quinzaine de mètres, coque en bois, peinte de couleurs vives. A l’arrière se trouve le poste de pilotage et une cabine dans laquelle sont accrochés les hamacs de l’équipage. Un mât est planté à l’avant. Des palmes sont amoncelées sur le pont, (je suppose) pour isoler la cale, pleine à raz-bord de glace pilée. Des bacs en plastique sont emboîtés les uns dans les autres et arimés à l’arrière. Je compte six marins en plus du capitaine. Deux canots sont fixés sur le gaillard d’avant et l’équipage embarque leurs moteurs hors-bord et des jerricans d’essence. Nos pêcheurs en partance sont coincés entre le quai et plusieurs rangs de bateaux du même gabarit amarrés devant, derrière et bord à bord. La sortie de créneau est laborieuse. Ça laisse le temps d’arriver à un marin retardataire qui balance son sac et saute sur le pont alors que le bateau commence à s’écarter du quai.

… à suivre

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