Philippines 2015

Philippines

Carnet de reportage / Mindanao (10) Guérilleros

Samedi 13 juin, la Nouvelle armée du peuple (NPA) libère un « prisonnier de guerre », détenu depuis deux mois. Un geste humanitaire qui répond aux appels de la famille et de défenseurs des droits humains. Les médias locaux sont conviés à assister à l’événement.

Départ de Davao vers 3 heures du matin. Direction Général Santos City, puis la province de Sarangani. Le lieu de la cérémonie est maintenu secret jusqu’au dernier moment. Kiamba : le convoi – cinq voitures dans lesquelles voyagent des journalistes et des représentants de l’église – fait halte au bord de la route. Deux motos nous rejoignent presque aussitôt : nos guides de la NPA. Nous repartons, abandonnons bientôt le bitume pour une piste tracée à flanc de montagne.

Sitio Palil (barangay Tambakan, commune de Kiamba, province de Sarangani). Les premiers guérilleros sont postés à l’entrée du hameau. Consigne à l’arrivée : pas de photo des visages (excepté pour les deux ou trois portes-paroles qui interviendront à la tribune) – on nous fait confiance, il n’y aura aucun contrôle de nos cartes mémoire.

Une estrade a été installé sur la « place du village ». Une table, deux bancs, des calicots marqués de la faucille et du marteau. Un peu avant midi, l’escouade de la NPA s’aligne au garde-à-vous, chante l’Internationale (en visaya). Khem Subere, le « prisonnier de guerre » arrive. La famille attend. Embrassades, pleurs. « L’enquête que nous avons conduite à son sujet ne motive pas son inculpation en tant qu’ennemi du peuple », déclarent les rebelles. Plusieurs prises de parole suivent celle de la guérilla : représentant de l’église, de la municipalité de Davao, du médecin ayant examiné le soldat et constaté qu’il avait été bien traité. Puis des paniers repas sont distribués. Un cochon de lait rôti disparaît avant que j’ai pu y goûter. Je m’applique à photographier en respectant la contrainte – ça a quelque chose d’oulipien qui ne me déplaît pas.

En milieu d’après-midi, Rodrigo Duterte, maire de Davao et (probable) futur candidat à l’élection présidentielle de 2016, arrive en hélicoptère pour prendre livraison du soldat libéré. Contrairement a ce qu’on pourrait penser connaissant son soutien aux escadrons de la mort, les rapports de Duterte avec la NPA sont plutôt cordiaux : l’homme n’est pas issu du sérail des quelques grandes familles qui contrôlent l’économie et les rouages du pouvoir philippin, et tout en contestant le recours à la lutte armée, il reconnaît la justesse des revendications sociales de la guérilla. Discours, interviews. « Rody » Duterte sait manœuvrer son public, faire rire. Puis il invite le soldat libéré à monter dans l’hélicoptère. Fin du programme.

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