Philippines 2015

Philippines

Carnet de reportage / Mindanao (11) Disparue !

Aïda Seisa (au centre sur la photo) et moi avions beaucoup discuté (et rit) pendant les trois jours de la mission à Paquibato. La nouvelle de sa disparition, dimanche soir, m’a laissé abasourdi.

Hameau de Purok 7 (barangay Paradise Embac, district de Paquibato). Il est près de midi, le dimanche 13 juin 2015, quand des éléments du 69ème bataillon d’infanterie mitraillent la maison d’Aïda Seisa, secrétaire de l’Alliance des paysans du district de Paquibato (PADIPA) et dirigeante de la section régionale du KMP. A l’intérieur, outre Aïda, son mari et ses trois filles, se trouvent Ruben Enlog – datu (chef) de la communauté indigène Manobo du sitio Manipis –, Randy Carnasa et Garyo Quimbo – paysans du sitio Purok 7. Les trois derniers sont tués. Une fille d’Aïda est blessée. Les deux autres, Aïda et son mari parviennent à s’enfuir.

Selon un communiqué de l’armée, les victimes sont des « bandits NPA ». Un fusil M14 et deux grenades ont été saisis au cours de l’opération, déclenchée à la suite de dénonciations des habitants concernant la présence de rebelles à Purok 7*.

Selon Hanimay Suazo, secrétaire de Karapatan (organisation de défense des droits humains) pour la région de Southern Mindanao, les victimes sont des civils, militants paysans et indigènes. Les armes, soi-disant saisies par l’armée, ont été rajoutées « pour la photo » à côté des cadavres. Et la véritable cible de l’opération était sans doute Aïda Seisa.

Le PADIPA, qui s’oppose à plusieurs projets agro-industriels et miniers ciblant le district de Paquibato et dénonce la militarisation des communautés paysannes et indigènes, est depuis longtemps dans la ligne de mire de l’armée, qui l’accuse d’être une couverture pour les guérilleros de la NPA.
En avril dernier, Aïda et trois autres militants de l’organisation paysanne, harcelés par l’armée et ses auxiliaires paramilitaires, s’étaient déjà réfugié à Davao, dans les locaux de Karapatan. Des motards suspects avaient alors été repérés, rôdant dans les environs et, le 26 avril, ils avaient tenté de s’introduire dans la maison de l’organisation (voir : appel urgent de la FIDH).
La participation d’Aïda à la mission d’observation dans le hameau de Quimotod (voir le 9ème épisode de mon carnet de reportage à Mindanao) a-t-elle été la goutte qui fait déborder le vase ?

* * *

Ce lundi 15 juin, Karapatan et d’autres organisations progressistes appelaient à un rassemblement, devant la mairie de Davao, pour dénoncer le « massacre de Paquibato ». La manifestation était suivie d’une veillée funèbre.

* Des militaires qui exécutent des civils puis les attifent en rebelles : la pratique est relativement courante, elle permet de gonfler sans risques les résultats de la lutte anti-insurrectionnelle et d’éliminer quelques opposants gênants ou/et autres « anti-sociaux » – c’est sans doute en Colombie que la méthode a atteint des sommets, révélés par le scandale des « faux-positifs » (voir : Maurice Lemoine / Medellin, dix ans après l’opération Orion)

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