Philippines 2015

Philippines

Carnet de reportage / Mindanao (7) Les réfugiés sortent de l’ombre

Depuis un peu plus d’un mois qu’ils campent sur le campus de l’UCCP Haran (United Church of Christ of the Philippines), les indigènes de Talaingod, Kapalong et Butuan se faisaient discrets, évitaient d’apparaître en public. Mais c’est fini. Désormais ils manifestent, presque quotidiennement…

Mardi ils avaient revêtu leurs costumes traditionnels pour se rassembler devant le Service régional du ministère de l’éducation (DepEd) et protester contre la fermeture des écoles indigènes. Mercredi, idem. Mais cette fois la manifestation s’était d’abord rendue au siège régional de la Commission nationale des peuples indigènes (NCIP) puis à celui de la Commission des droits humains (CHR). Et jeudi les indigènes de Talaingod, Kapalong et Butuan ont remis ça et sont allés crier sous les fenêtres du DepEd : « Oui aux écoles, non aux militaires dans les communautés ».

Ronie Garcia, 27 ans, enseignant à Kapalong, est directeur du Centre d’enseignement de Salupongan Ta’ Tanu Igkanogon (Union pour la défense des domaines ancestraux), l’un des deux principaux réseaux d’écoles indigènes de Mindanao*.

« Salupongan est une organisation indigène fondée en 1994, par les communautés Manobo de Talaingod pour s’opposer à l’exploitation forestière par la compagnie Alcantara**. Le conflit a dégénéré en une véritable guerre au cours de laquelle les indigènes, armés d’arcs et de flèches, ont affronté la milice privée de la compagnie et les militaires. Cette histoire de lutte, nous la revendiquons et continuons de la faire vivre : le droit à l’éducation est aussi un combat. Face aux carences de l’état en matière d’éducation dans les communautés indigènes, le conseil tribal de Talaingod a décidé de prendre les choses en main et sollicité l’aide d’une ONG catholique (Rural Missionaries of the Philippines). La première école de Salupongan a ouvert ses portes en 2007, à Talaingod.
Aujourd’hui, Salupongan compte une quarantaine d’écoles, dans plusieurs provinces, qui accueillent plus d’un millier d’enfants. Environ 90 maîtres volontaires y enseignent. Ils ne reçoivent pas de salaire, mais un simple défraiement de 4.000 pesos/mois (environ 40 euros) – le salaire de base d’un enseignant du service publique est d’environ 300 euros – et c’est la communauté qui prend en charge leur hébergement et leur nourriture. L’enseignement dispensé dans les écoles Manobo comprend les mêmes matières que dans les écoles publiques, plus une formation à l’agriculture organique, la sensibilisation aux questions de droits humains et l’apprentissage de la culture indigène Manobo ».

* Un second réseau d’écoles indigènes travaillant dans la même optique est soutenu par le MISFI (Mindanao Interfaith Service Foundation Inc), il emploie une quarantaine d’enseignants.
** Le groupe Alcantara, est l’un des plus importants conglomérats philippins (agro-industrie, exploitation forestière et minière, énergie, transports, immobilier).

Depuis plusieurs années, les enseignants des écoles indigènes et les organisations qui les soutiennent sont harcelés par l’armée qui voit en eux des agents déguisés de la guérilla. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. La méthode n’est pas nouvelle. Aux Philippines, sont couramment accusés d’être des suppôts de la NPA : des syndicalistes – pas les jaunes, non, de préférence ceux du KMU –, des militants d’organisations paysannes affiliées au KMP, des auxiliaires de santé qui n’hésitent pas à visiter les communautés paysannes ou indigènes les plus isolées – dernier en date, Jonathan Villanueva (voir épisode précédent de ce carnet de reportage) –, des prêtres ou pasteurs que leur foi conduit à épouser la cause des plus pauvres, des scientifiques opposés à l’usage massif des pesticides ou aux cultures OGM et, bien sûr, des enseignants.

Ce lundi 1er juin était jour de rentrée scolaire aux Philippines. Mais dans la province de Davao del Norte les écoles indigènes sont restées fermées, la directrice de l’antenne provinciale du ministère de l’éducation, Joséphine Fadul, ayant demandé leur remplacement par des écoles « publiques » – en réalité celles du « Programme de paix et développement de proximité » de l’Oplan Bayanihan (plan de lutte contre-insurrectionnelle de l’armée) – où l’enseignement sera assuré par des militaires pudiquement qualifiés de « para-enseignants ».

Dans la presse : DepEd: Schools were not closed, just not opened / Selon le Département de l’Éducation, les écoles (indigènes) n’ont pas été fermée, elles n’ont simplement pas été (ré)ouverte (Sun Star le 03/06/2015).
AFP denies Karapatan’s claim of encampment in Lumad schools / Les militaires contredisent les dénonciations de Karapatan concernant leur présence dans une école à Talaingod : avec les Brigades Écoles du Plan Bayanihan, nous établissons simplement des partenariats (…) comme avec nos Youth Leadership Summits et nos Missions Médicales (…) il n’y a rien de mal à collaborer avec le DepEd (Interaksyon le 05/06/2015).
1,700 Lumad kids’ education disrupted in schools’ closure / 1.700 enfants Lumads privés d’école pour cause de fermeture (Edge Davao le 06/06/2015).

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