Philippines 2015

Philippines

Carnet de reportage / Mindanao (9) Paquibato

Suite aux accusations de harcèlement portées par des dirigeants paysans contre l’armée et les groupes paramilitaires, une mission composée de représentants paysans, de l’organisation de défense des droits humains Karapatan et de syndicalistes se rend dans le district de Paquibato.

ALERTE ! Aïda SEISA (voir encadré ci-dessous), secrétaire de l’Alliance des paysans du district de Paquibato (PADIPA) et de la section régionale du KMP, portée disparue après que sa maison ait été mitraillée, aujourd’hui, par des éléments du 69ème bataillon et sa fille de 12 ans blessée dans la fusillade.

La municipalité de Davao, 2.444 km2 (à peu près la superficie de l’île de la Réunion), est la plus étendue des Philippines. La ville même n’en couvre guère plus d’un dixième. Le reste est rural, d’accès souvent difficile. C’est le cas du district de Paquibato. Une nébuleuse de hameaux y sont éparpillés dans un relief tourmenté, couvert d’une végétation dense, parcouru de pistes, chemins, sentes, trouées, sentiers que piétons et chevaux sont souvent seuls à pouvoir emprunter. Au nord, Paquibato est limitrophe de Talaingod, municipalité contiguë à celle de Kapalong, qui à son tour jouxte la vallée de Compostela, elle-même voisine de la province de Davao Oriental… Un casse-tête pour l’armée, une « piste Ho Chi Minh » pour des guérilleros de la NPA qui sont ici chez eux.

Ces dernières années, Paquibato a fait l’objet de plusieurs projets de « développement », déposés auprès de la municipalité de Davao ou du Bureau des Mines et Géosciences (MGB) de la Région XI. Les uns émanent de compagnies agro-industrielles malaisiennes et thaïlandaises (dont les noms n’ont pas été divulgués) à la recherche de terres pour y planter du palmier à huile – selon les sources, les superficies sollicitées vont de 20.000 à 50.000 hectares. Les autres sont des projets miniers. Aucun n’a (pour l’instant) abouti.

Les investisseurs malaisiens et thaïlandais bénéficiaient pourtant du soutien du maire, Rodrigo Duterte ayant même offert à la guérilla de s’associer au projet (Davao Today, 13/06/2014 : Duterte urges rebels to engage in palm oil “joint venture” with Malaysian, Thai company). « Je ne vous demande ni de vous rendre, ni de déposer les armes, juste de les cacher pour de discuter avec les investisseurs. Vous leur direz combien vous voulez pour la terre ? Ils paieront et ça créera des emplois (…) Vous pourrez négocier avec eux les salaires et les conditions de travail. Seule condition : pas d’impôt révolutionnaire ». Mais les écologistes de Panalipdan ainsi que les paysans et indigènes de l’Alliance des paysans du district de Paquibato n’en voulaient pas : risque de pollution par les pesticides et de pénurie d’eau, accaparement de terres dédiées aux cultures vivrières. La NPA n’a pas donné suite à la proposition du maire. Et il semble que les compagnies malaisiennes soient finalement allées voir ailleurs (notamment dans la Région autonome musulmane de Mindanao). Mais ça reste à confirmer.

En 2011, le groupe MRC Allied Inc (voir encadré) s’associe aux sociétés Alberto Mining Corp et Pensons Mining Corp en vue d’exploiter des gisements d’or et de cuivre dans le district de Paquibato. Une demande de permis d’exploration sur une concession de 8.740 hectares est déposés auprès du MGB, qui donne un avis favorable. Un MOA (Memorandum Of Agreements) aurait même été signé, par les sociétés Alberto Mining Corp et Pensons Mining Corp et des chefs de villages et de communautés indigènes du district de Paquibato. Encore une fois, écologistes et communautés indigènes s’y opposent : impact environnemental lourd, empiétement sur les domaines ancestraux. Et la NPA, par la voix de son commandant local, Leoncio « Ka Parago » Pitao, se déclare opposée à tout projet minier à grande échelle. Le 5 mai 2015, le conseil municipal de Davao leur donne raison et adopte un moratoire interdisant l’exploitation minière industrielle sur le territoire de la commune. Écologistes et communautés indigènes applaudissent. Le projet n’a cependant pas disparu du site Internet de MRC Allied Inc. Et ses opposants craignent que la compagnie tente de contester le décret municipal en s’appuyant sur le Code minier de 1995 et l’Exécutive Order 79 (émis par le gouvernement Aquino en 2012).

En 2010, MRC Allied Inc* élargit ses activités, jusqu’alors concentrées sur l’immobilier, à l’industrie minière. Le premier projet de la compagnie, se situe à Kiblawan : une concession de 7.955 hectares, à cheval sur les provinces de Davao del Sur et Sultan Kudarat. Le site est contiguë au méga-projet de Tampakan, exploité par le géant australien Xstrata. Le sous-sol de Tampakan abrite la plus importante réserve d’or asiatique et la 5ème du monde. Les études géologiques conduites par Alberto Mining Corp à Kiblawan donnent des résultats similaires à ceux de Tampakan. Le Certificate of Compliance of Precondition, émis par la NCIP a été obtenu. Les opérations d’exploration ont commencé et MRC recherche des investisseurs. Outre le potentiel minier du pays, le site Internet de la société met en avant une législation favorables aux investisseurs étrangers qui leur permet de posséder jusqu’à 100% du capital d’une compagnie minière, la disponibilité de main d’œuvre et la proximité des marchés asiatiques.
Depuis, MRC a déposé trois demandes d’exploration : dans la province de Surigao del Sur (3.718 hectares), à Davao (8.470 hectares dans le district de Paquibato), dans la province de Davao Oriental (9.720 hectares, proches des exploitations artisanales du Mont Diwalwal). Les opérations d’exploration n’ont débuté sur aucun de ces trois sites.

* Cette même année, le groupe Menlo Capital, dirigé par Lucio Tan Jr (fils de Lucio Tan, deuxième plus grande fortune du pays) rachète les dettes de MRC (650 millions de dollars) et devient l’actionnaire majoritaire de la société.

Les menaces que constituaient l’arrivée de compagnies minières et agro-industrielles étant (provisoirement) écartées, la militarisation des communautés demeure la cause première de troubles et de violations des droits humains. C’est ce qu’ont affirmé les habitants de Quimotod à la mission qui, du 10 au 12 juin 2015, s’est rendue dans ce hameau du district de Paquibato.

La mission était composée de représentants de l’organisation de défense des droits humains Karapatan, du mouvement paysan KMP, de l’Alliance of Concerned Teachers, d’Exodus for Peace & Justice, d’une brigade de santé d’obédience catholique et de syndicalistes du KMU. Secrétaire de l’Alliance des paysans du district de Paquibato et responsable régionale du KMP Aïda SEISA figurait parmi les membres de la délégation. Accusée d’être membre de la NPA, elle fait l’objet de poursuites pour « meurtres » (sans qu’aucune preuve n’ait été versée au dossier). Menacée, elle s’est réfugiée à Davao dans les locaux de l’organisation de défense des droits humains Karapatan (Aïda et 3 de ses camarades font l’objet d’un appel urgent de la FIDH).

Les 23 et 25 mars et 28 avril dernier, des accrochages ont opposé guérilla et armée régulière. Chaque fois, des hélicoptères sont intervenus et ont lâché des bombes, qui n’ont pas atteint leur cible ni fait de victimes, mais impressionné les habitants du sitio Quimotod.

Quelques membres de la délégation et moi-même nous rendons sur les lieux, accompagnés par des paysans. Pas de cratères de bombes ni rien de très impressionnant : quelques morceaux de métal déchiquetés, presque totalement recouverts par une végétation qui repousse vite.

Sur le chemin du retour, nous faisons halte chez l’un de nos guides. Café (soluble) et bananes bouillies. Bavardages qui déclenchent des éclats de rire. On me traduit, par bribes : les paysans se moquent des façons de faire des militaires, ces empotés ! Ils disent qu’ils vont tuer les NPA mais faudrait d’abord qu’ils les attrapent ! Les NPA, eux, quand ils ont besoin d’un poulet ou d’un porc, ils le paient et quand ils viennent, ils apportent souvent quelques bidons d’eau (les points d’eau sont assez éloignés des habitations). Pas les soldats (…) Ceux-là entrent dans les maisons, se servent sans rien demander. Ils s’installent, accrochent leur hamac, parfois pour plusieurs semaines (…) Après l’escarmouche du 28 avril, la famille qui habitait près le l’endroit où est tombé la bombe a quitté les lieux. Les militaires s’y sont rendu le lendemain et, ne trouvant personne, ont chié sur le plancher (…) Ils ont aussi détruit des bananiers pour dégager un terrain où faire atterrir les hélicoptères (…) Avant c’était seulement le 69ème bataillon, mais ils ont reçu des renforts et ils sont de plus en plus nombreux (…) Il y a quelques jours, dans un hameau voisin, les Scouts Rangers ont attrapé un adolescent et lui ont demandé où se cachait les guérilléros. Comme il ne répondait pas ils l’ont forcé à bouffer un sac en plastique. « Tu préfère manger ça ? » Lui a demandé un Ranger en lui mettant le canon de son fusil sous le nez. « Ça ? » En lui montrant son poignard. « Ou ça ? » le sac en plastique (…) Avant c’était plus violent. Depuis qu’ils ont changé de tactique, avec l’Oplan Bayanihan, c’est plus insidieux. Ils entrent partout, s’installent dans les maison, les écoles (…) Ils cherchent à faire ami-ami. Ils disent qu’ils sont là pour nous aider, mais ils veulent surtout nous transformer en informateurs (…) Ils cherchent à nous recruter pour les CAFGU (groupes paramilitaires). J’ai un copain de classe qui s’est enrôlé : on peut plus se faire confiance.

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