Bangladesh 2016

Bangladesh

Dhaka / Les fourmis humaines de Gabtoli

Le port fluvial de Gabtoli est une fourmilière d’hommes et de femmes, portant sur la tête des corbeilles remplies de sable, de terre, de charbon ou de gravier, qui vont inlassablement de la berge aux bateaux et des bateaux à la berge.

J’embarque sur le Water Bus amarré à un ponton, un peu en aval du pont Babu. C’est un petit ferry à coque métallique, une quarantaine de sièges en plastique moulé sont fixés sur le pont couvert, derrière le poste de pilotage, l’équipage est composé du capitaine, du pilote et d’un receveur – le prix du voyage de Sadarghat à Gabtoli est de 40 takas (50 centimes d’euro). Appareillage à 11 heures. Il faut un bonne heure en suivant les méandres de la rivière Buriganga pour rejoindre Gabtoli, à une quinzaine de kilomètres en amont de Sadarghat, dans la banlieue Nord-Est de Dhaka. Sur le trajet, nous croisons ou doublons de nombreuses péniches et quelques petits cargos vraquiers. Ils remontent généralement à plein et redescendent à vide. Je note (dans l’ordre approximatif de leur apparition à l’écran) : des hommes qui lavent, battent et essorent du linge qu’ils étendent ensuite en longues guirlandes blanches tendues entre des perches de bambou (parviennent-ils à laver plus blanc que blanc dans cette eau noire?) ; des bateaux-pompes (barges ou péniches) utilisées pour l’irrigation des champs avoisinants ; des carrelets chinois ; un cadavre d’éléphant échoué dans la vase ; plusieurs sites d’extraction de sable ; les dizaines de cheminées fumantes de fours à briques qui s’étendent à perte de vue sur la rive droite – au Bangladesh, environ 7000 entreprises produisent 15.000 millions de briques/an à partir de 36 millions de m³ de terre ; celle-ci est acheté aux paysans (10 euros/hectare) ; c’est la couche de terre superficielle (moins d’un mètre) qui est utilisée ; il faut ensuite 4 ans pour que le sol, devenu impropre à l’agriculture, puisse être récupéré (Daily Star, 27/01/2016).

De nombreuses entreprises de matériaux de construction sont installées dans le district de Gabtoli. Le déchargement des bateaux bourrés jusqu’à la gueule de sable, gravier, charbon, galets, terre, briques ou sacs de ciments constitue l’essentiel de l’activité du port situé sur la rive gauche de la Buriganga. Un chemin bétonné longe la berge, elle-même stabilisée par un mur de brique et de ciment qui descend en pente jusqu’à une étroite grève de sable noir (en cette saison, le niveau de l’eau est bas). Des passerelles de planches, soutenues par des échafaudages de bambou, permettent d’accéder aux dizaines de bateaux – péniches, barges, petits cargos, lourdes barcasses amarrés bord à bord. D’autres passerelles mènent à fond de cale. Toutes sont doublées, pour permettre aux files ininterrompues d’hommes et de femmes qui les parcourent de se croiser sans bousculade. Le déchargement se fait invariablement à dos, ou à tête, d’homme et de femme. Ils seraient environ 20.000, pauvres parmi les pauvres, à faire des aller-retour des bateaux à la terre ferme. A chaque voyage, le portefaix reçoit un jeton qui vaut environ 2,5 centimes d’euro. Une corbeille, à plein, doit bien peser dans les cinquante kilos. Il faut donc quarante voyages, soit charrier deux tonnes de matériau, pour gagner un euro.

En fin d’après-midi – superbe lumière dorée et longues ombres noires – je photographie un porteur en train de faire le compte de sa journée : un poignée de jetons, sans doute moins d’une centaine… un peu plus d’un euro.

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