Au début ils s’entendaient bien, le store de droite et celui de gauche. Vénitiens tous deux, ils donnaient pleine satisfaction au client, l’un comme l’autre remplissant sa fonction sans protester. Ils avaient la même couleur blanc cassé et chacun – afin d’éviter tout soupçon de favoritisme – était doté des mêmes deux mécanismes l’autorisant à faire pivoter ses lamelles – celles-ci, comme il se doit, étaient d’une largeur légèrement supérieure à l’espace les séparant de façon à pouvoir occulter totalement la surface à protéger de la lumière extérieure directe – et/ou de les remonter, les lamelles – elles s’empilaient alors exactement et un ingénieux système de blocage interdisait qu’elle redescendissent du simple fait de la gravité. Mais un beau jour, sans crier gare, ils commencèrent à se chamailler, les stores. La moindre remarque de l’un ou l’autre à son voisin entraînait une verte réplique de l’interpellé et, aucun des deux adversaires n’ayant sa langue dans la poche, le ton de la dispute montait rapidement. Rien d’idéologique, une simple question de préséance, pensa-t-on au début, doublée d’un peu de jalousie, peut-être. Jusqu’à se qu’on se rendit compte que la querelle prenait racine dans une vieille rancune entre familles de la Citée des Doges qui venait de ressurgir on ne sait à quelle occasion. On tenta une médiation. Ce fût un échec, qui ne contribua qu’à envenimer la situation. Car le store de gauche s’estima lésé. Il devint d’une humeur massacrante, manifestant une mauvaise volonté chaque jour plus évidente. Et finit par refuser définitivement de fonctionner. Il fallut l’abattre. Provisoirement – mais c’est un provisoire qui s’éternise – un drap le remplace.

* * *

La vaisselle est cassée. Depuis, il purge sa peine à des travaux d’intérêt public et ses journées sont réglées comme du papier à musique : tous les matins, après s’être lavé à grande eau, il se rend à l’écurie, selle Jolly Jumper – une haridelle osseuse d’humeur exécrable mais à laquelle il est très attachée – et, au pas traînant du canasson, rejoint le point de rendez-vous où le cantonnier en chef lui attribue un tas de cailloux à casser.
Ainsi se résume sa vie : laver, seller, casser.

Vampires et chinois. Les vampires ne se réfléchissent pas, tout le monde sait cela. Mais projettent-ils seulement une ombre quand ils sont exposés à la lumière – je ne parle pas, bien sûr, de la lumière du soleil, létale pour ces êtres de la nuit, mais, par exemple, de la lueur vacillante d’un candélabre ou du scintillement du lustre de cristal accroché au plafond dans la salle de bal du château du comte Dracula – ? J’en doute, bien qu’en réalité je n’en sache rien. Ce que je sais, en revanche, c’est que les chinois en fabriquent, des ombres – que ne fabriquent-ils pas ? –, qui peuvent prendre la forme d’un éléphant, d’une chèvre, d’un papillon, d’une tortue et même – je peux en témoigner – d’un dossier de chaise de jardin.

Droits de carreau. Un Roi, une Dame, un As… sont de carreau s’il ne sont ni de pique, ni de cœur, ni de trèfle. Un Valet, lui, peut aussi être de chambre. Pour un carreau cassé, conséquence d’un lancer de projectile mal intentionné, certains vous sommeront de vous y tenir, à carreau, sous peine de représailles qui pourraient bien vous y laisser, sur le carreau – ne pas confondre ce carreau-là avec le carreau où, avant de plonger mille mètres sous terre, se retrouvaient les mineurs des Houillères. Une chemise, un foulard, un gilet peuvent l’être, à carreaux (de différents tons ou couleurs), encore que rien ne les y oblige, rien ne leur interdit d’être unis*, chinés, rayés, à fleur ou imprimés de tout autre motif. Un cahier est à carreaux (petits ou grands), mais pas un damier – quoiqu’on puisse s’y tromper –, pas plus qu’une salle de bain, même si les murs en sont tapissés jusqu’au plafond, de carreaux, ou un sol. Un sol, même quand il en est recouvert, n’est pas à carreaux, non, il est carrelé… à moins d’être dièse ou bémol.

* Le mot d’ordre « gilets à carreaux de tous les pays unissez-vous » est à déconseiller car il risque de prêter à confusion : même « unis », les gilets, dans ce cas de figure et seulement dans celui-là, demeurent « à carreaux ».