Philippines 2019

Philippines

Inquiétantes élections de mi-mandat

Les soupçons de fraude, les achats de votes massifs, les nombreux bugs informatiques des machines à voter ou les irrégularités flagrantes constatées lors du scrutin ne suffisent pas, à elles seules, à expliquer la large victoire des partisans du président Duterte lors des élections de mi-mandat du 13 mai dernier. Seule lueur d’espoir : la bonne résistance de la gauche radicale qui, en dépit d’une virulente propagande anti-communiste menée tout au long de la campagne électorale par l’armée et la police, obtient 6 députés à l’Assemblée nationale.

Trois ans après l’entrée de Rodrigo Duterte au palais présidentiel, les élections de mi-mandat concernaient le renouvellement de la totalité des députés, gouverneurs, maires et conseillers ainsi que la moitié des sénateurs (18.000 postes à pourvoir, près de 62 millions d’électeurs inscrits).
Pour le président, dont la côte de popularité continue de flirter avec les 80% d’opinions favorables, le contrôle du sénat, dernière institution à manifester une certaine indépendance par rapport au gouvernement, constituait le principal enjeu du scrutin. C’est chose faite : 8 des douze postes de sénateur à pourvoir reviennent à des partisans avérés de Duterte, les 4 autres à des « personnalités indépendantes », aucun à l’opposition.
La situation est encore pire à l’Assemblée nationale, où le parti du président (PDP-Laban) et ses alliés trustent la quasi totalité des 234 sièges, ne concédant que 18 députés au Parti Libéral de l’ancien président Benigno Aquino III, 5 à Lakas, un parti à géométrie variable, et 6 aux forces du mouvement Makabayan, la gauche radicale d’inspiration communiste.

De nombreuses irrégularités ont entaché le scrutin du 13 mai.
– Les bugs informatiques liés aux machines à voter ont été sept fois plus nombreux que lors des élections précédentes et les premiers résultats partiels ont été annoncés avec sept heures de retard.
– L’utilisation de bulletins pré-remplis a été dénoncée dans plusieurs provinces.
– Des achats de vote massifs ont eu lieu, le président lui-même affirmant quelques jours avant le vote que « ce n’est forcément condamnable quand il s’agit de permettre aux électeurs de payer de bus pour venir voter ou assister à un meeting » et reconnaissant que « tout le monde le fait ».
– Tout au long de la campagne électorale, une propagande « anti-rouges », assimilant les organisations de la gauche (syndicats, organisations paysannes, indigènes, d’étudiants, d’enseignants, de juristes…) à un « front légal » de la guérilla, a été menée par la police et l’armée. Et le jour même du scrutin des policiers ont été photographiés en train de distribuer le Bulletin d’information de la police (dont la une appelait les jeunes à voter contre la Nouvelle Armée du Peuple et les communistes) aux abords immédiats et même, dans certains cas, dans l’enceinte des bureaux de vote.
Tous ces éléments ont certainement pesé sur le résultat final mais, et c’est d’autant plus inquiétant, ne suffisent pas à expliquer la très large victoire des candidats endossés par Rodrigo Duterte.

Inquiétant car certains des pires aspects de la politique mise en œuvre par l’actuel président ont en effet été plébiscités lors du récent scrutin. Notamment sa meurtrière guerre à la drogue – 6 à 25.000 victimes selon les sources et les modes de calcul. Unanimement décriée par l’opinion publique internationale, elle est en revanche jugée positivement par de larges secteurs de la population locale – en particulier dans nombre de quartiers pauvres qui apprécient de voir les gangs locaux contraints de faire profil bas face à la répression policière. En témoignent l’élection au sénat de Ronaldo Bato Dela Rosa – ex-chef d’orchestre de la croisade anti-drogue (dans sa période la plus brutale) – et les trois députés obtenus par le groupe pro-Duterte ACT-CIS (Anti-Crime and Terrorism-Community Involvement & Support). Le nouveau sénateur tout comme ACT-CIS prêchent pour l’abaissement de l’âge de la responsabilité légale de 15 à 12 ans, le rétablissement de la peine de mort et, bien sûr, la poursuite de la guerre à la drogue.
Inquiétant parce qu’en face, sur les bancs de l’opposition, le Parti Libéral et ses 16 députés continueront sans doute à crier au loup et dénoncer (à juste titre) les atteintes aux droits humains, tout en restant discrets sur le fait que, pour l’essentiel, la politique économique néolibérale mise en œuvre par l’actuel gouvernement ne fait guère que prolonger celle de ses prédécesseurs.
Inquiétant parce que la gauche social -démocrate et altermondialiste, représentée jusque là par le parti Akbayan, disparaît de l’Assemblée Nationale.

Reste la gauche radicale. En dépit d’une féroce campagne anti-communiste visant à assimiler les organisations de la gauche civile et ses représentants à un « front légal » de la Nouvelle Armée du Peuple et du Parti Communiste (voir : Amalgames criminels), les candidats des formations regroupées sous la bannière de Makabayan (Bayan Muna, Teacher ACT, Gabriella, Kabayaan) obtiennent six députés. Ils constituent désormais l’unique voix d’opposition résolue au pouvoir des « élites » économiques et aux dérives dictatoriale du président Duterte.