Philippines 2012

Philippines

Notes du Bangsamoro (1) En manière d’introduction

Souvenirs, souvenirs ! En février 2012, la préparation d’un documentaire sur l’accaparement des terres aux Philippines m’avait conduit à Isulan, capitale de la province de Sultan Kudarat (photo ci-dessus), dans la région centrale de l’île de Mindanao, en lisière de la Région autonome en Mindanao musulman….

En février 2012, le sigle de la Région autonome en Mindanao musulman comporte quatre lettres : ARMM (Autonomous Region in Muslim Mindanao) – composée des cinq provinces (Lanao del Sur, Maguindanao, Basilan, Sulu et Tawi-Tawi) à population majoritairement musulmane, l’ARMM a été créée en 1989, après qu’un accord de cessez-le-feu ait été signé entre le gouvernement de Corazon Aquino et les rebelles du MNLF (Moro National Liberation Front) –, il en gagne une cinquième et devient BARMM (Bangsamoro [1] Autonomous Region in Muslim Mindanao) en janvier 2019.

Bangsamoro_carte

Le 21 janvier 2019, les populations de l’ARMM (en rouge sur la carte) se prononcent par référendum sur la Bangsamoro Organic Law (BOL), créant la Région autonome Bangsamoro en Mindanao musulman (BARMM).
Le OUI l’emporte largement : 1.540.017 OUI (88,7%), 198.750 NON (11,3%) y – les NON se concentrent dans la province de Sulu, bastion du groupe Abu Sayyaf.
Trois semaines plus tard, le 6 février 2019, un second référendum est organisé dans les provinces de Lanao del Norte et North Cotabato del Norte (en jaune) et la ville de Cotabato concernant leur rattachement (partiel pour les 2 provinces, total pour la ville de Cotabato) au BARMM.
Les résultats sont plus nuancés : la province de Lanao del Norte vote NON au rattachement au nouveau Bangsamoro des 6 municipalités concernées, tandis que la ville de Cotabato et 67 barangays (villages) de la province de North Cotabato votent OUI.

En février 2012, en dépit d’un « accord général de cessation des hostilités » conclu en 1996 entre le gouvernement du général Fidel Ramos et les mêmes rebelles du MNLF [2], la paix reste un enjeu sur la table des négociations et les protagonistes ont changé : Benigno Aquino II, fils de Corazon Aquino, est président et le MILF – Moro Islamic Liberation Front, issu d’une scission du MNLF – a reprit le flambeau de la lutte armée pour l’autonomie du Bangsamoro. Les pourparlers sont toutefois en bonne voie et, en 2014, le Comprehensive Agreement on the Bangsamoro, signé entre les deux parties met fin aux hostilités.

En février 2012, hélas, les modalités de l’accord de paix ébauché par les représentants du gouvernement et du MILF ne fait pas l’unanimité parmi les combattants musulmans les plus radicalisés : quelques mois plus tôt, le Commandat Ameril Umra Kato et ses fidèles ont quitté le MILF pour fonder le Bangsamoro Islamic Freedom Figthers (BIFF). Ce nouveau venu sur le théâtre de la guerre dans le Mindanao musulman est encore discret, éclipsé par les actions terroristes du groupe Abu Sayyaf – lui-même issu d’une autre dissidence du MNLF –, mais il va bientôt se renforcer pour devenir, aujourd’hui, le plus puissant des groupes jihadistes du Bangsamoro.

En février 2012, Cayamora Maute, patriarche d’une famille de commerçants prospères, est propriétaire d’une compagnie d’import-export basée Marawi (province de Lanao del Sur), mais le nom de la ville de Marawi et celui des Maute sont encore inconnus du grand public. L’officine de Caymora Maute sert pourtant déjà de couverture à l’entrée de terroristes indonésiens de la Jemaah Islamiyah (affiliée à Daesh) à Mindanao et au financement du groupe terroriste en train de se constituer sous la direction des frères Abdullah et Omar Maute (fils de Cayamora). Cinq ans plus tard, le Groupe Maute sera l’architecte de la prise de la ville de Marawi (23 mai 2017), il fera allégeance à l’État Islamique et, épaulé par des jihadistes de quatre autres groupes islamiques radicaux (BIFF, Abu Sayyaf, et Ansar Khalifah Philippines), il tiendra pendant cinq mois l’armée philippine en échec (j’y reviendrai dans un épisode ultérieur).

En février 2012, Rodrigo Duterte n’est encore que le maire de la ville de Davao mais déjà, sorte de prélude à l’horrifique guerre à la drogue qu’il mène depuis son accession à la présidence, il imprime sa marque de fabrique à la gestion de la ville où il fait régner l’ordre en s’appuyant sur des escadrons de la mort responsables de dizaines d’exécutions extra-judiciaires. Six ans plus tard, le 23 juillet 2018, c’est le même Duterte qui paraphe la Bangsamoro Organic Law, créant la Bangsamoro Autonomous Region of Muslim Mindanao (BARMM), et organise, le 21 janvier 2019, le référendum par lequel les populations de l’ARMM sont invitées à se prononcer pour ou contre la Bangsamoro Organic Law. L’écrasante victoire du OUI est portée par l’espoir d’une paix prochaine mais, le 26 janvier 2019, un attentat à la bombe dans la cathédrale de Jolo (province de Sulu), revendiqué par le groupe Abu Sayyaf, fait 21 morts : la paix attendra.


[1] Bangsamoro : patrie de moros (nom donné aux musulmans (maures) des Philippines), qui s’étend sur une partie de l’île de Mindanao et l’archipel de Sulu.

[2] En 1997, Nur Misuari, le fondateur du MNLF, était élu gouverneur de l’ARMM ; le 29 mars dernier, c’est Murad Ebrahim, le chef du MILF qui devient président de la Bangsamoro Transition Authority (BTA), nommée pour trois ans et qui assurera l’intérim jusqu’aux élections de 2022.