Philippines 2018

Philippines

La pêche : état des lieux

Il paraît que de gros navires de pêche industrielle débarquent quotidiennement 300 tonnes de poisson sur les quais de Navotas, le plus grand port de pêche du pays et l’un des plus importants d’Asie. C’est sûrement vrai, mais je ne les ai pas (encore) vu. Parce que les petits, les tout petits pêcheurs de Tangos (un quartier de Navotas), ceux qui ne ramènent guère à l’issue d’une journée en mer que trois ou quatre malheureux kilos de petits poissons, une bassine de crabes, une poignée de crevettes, parfois un poulpe ou quelques calamars, m’ont alpagué, pris en charge, recruté pour défendre leur cause.

Je ne renonce pas pour autant à faire preuve d’objectivité, à tenter d’y voir clair. Et pour faire le point, mettre de l’ordre dans mes idées, je débute cette série d’articles sur la pêche aux Philippines par un état des lieu, un truc bien rébarbatif, élaboré à partir de données chiffrées fournies par le BFAR (Bureau of Fisheries and Aquatic Resources) et la PSA (Philippine Statistic Authorithy).

Sept fois plus d’eau que de terre

Alors que les sept-mille-cent et quelques îles de l’archipel des Philippines couvrent une surface de 300.000 km² (environ la moitié de la France), ses eaux territoriales (zone économique exclusive) s’étendent sur 2,2 millions de km² : sept fois plus d’eau que de terre.

Les Philippines possèdent 36.289 km de côtes, la frange littorale (15 km) couvre 266.000 km² et le plateau continental (partie des eaux territoriales où la profondeur ne dépasse pas 200 mètres) 184.600 km².
62% des 103 millions d’habitants du pays réside le long du littoral et les produits de la mer représentent 56% de l’apport en protéines dans l’alimentation des philippins.
D’où l’importance de la pêche et de l’aquaculture pour la sécurité alimentaire du pays.
MAIS…
… Dix des treize principales zones de pêche des Philippines sont surexploitées.
… Au cours des cinquante dernières années, les stocks de poisson dans la zone économique exclusive des Philippines ont été réduits de 90% et les champs d’algues de moitié.
… La forêt de mangrove est passé de 500.000 hectares en 1920 à 120.000 hectares aujourd’hui.
… Et seuls 5% des 27.000 hectares de récifs coralliens sont en bon état.
Le réchauffement climatique, la pollution des océans (sacs plastiques, déchets urbains, rejets industriels), l’exploitation minière, la pression démographique, les programmes immobiliers d’aménagement – le terme « bétonnage » serait plus juste – du littoral sont responsables de cet état de fait.
Et bien sûr, la surpêche.

Aux termes du Code de la pêche adopté en 1998 (Republic Act 8550) et amendé en 2015 (Republic Act 10654), le secteur est divisé en 1) pêche « municipale » et 2) pêche « commerciale ».
1) Sont considérés comme pêcheurs « municipaux », les pêcheurs utilisant des bateaux jaugeant moins de 3 tonneaux (ou pas de bateau du tout).
En 2000, 469.807 bateaux de moins de 3 tonneaux étaient enregistrés, dont un peu plus du tiers (177.627) motorisés.
Les pêcheurs municipaux bénéficient (théoriquement) d’un accès privilégié aux eaux de la frange littorale des 15km, qui relèvent de la gestion municipales, à la différence du reste de la zone économique exclusive placée sous l’autorité de l’état.
Les pêcheurs « municipaux » étaient 1.371.676 en 2003 (mais seulement 580.000 en 1980).
Ils comptent pour 98% des emplois dans la pêche (aquaculture non-comprise) mais pour seulement 51% des prises.
Ils constituent la part la plus défavorisée de la population (41% vivent en dessous du seuil de pauvreté).
2) La pêche « commerciale » est celle pratiquée par les navires jaugeant plus de 3 tonneaux.
En 2007, 2.358 opérateurs de pêche commerciale avaient enregistré 6.371 bateaux.
Selon leur tonnage, les navires de pêche commerciale sont eux-mêmes répartis en trois catégories :
– plus de 3 et moins de 20 tonneaux (petite pêche industrielle).
– plus de 20 et moins de 150 tonneaux (moyenne pêche commerciale).

Commentaire : ces deux catégories peuvent être autorisées, sous certaines conditions, à opérer dans la frange des eaux littorales comprise entre 10 et 15km.

– plus de 150 tonneaux (grande pêche commerciale).
En 2003, 16.497 marins-pêcheurs étaient embarqués sur les navires philippines de pêche commerciale (2% des emplois dans le secteur de la pêche).

Commentaire : bon nombre des données chiffrées disponibles sur le site du BFAR sont assez anciennes… mais je n’ai pas trouvé mieux.

Philippines: carte des eaux territoriales

Carte représentant les parts relatives des captures « municipales » et « commerciales » sur les zones de pêches de l’archipel pour la période 1992-96 (FAO).

Les Philippines se classent au huitième rang mondial en terme de production halieutique.
En 2015, selon le BFAR, 4.649.313 m³ de poissons, crustacés, mollusques, plantes aquatiques ont été produits/capturés dans les eaux philippines pour une valeur de 239,7 milliards de pesos (37 milliards d’euros).
L’aquaculture représentait 51% de ce volume et 39% de sa valeur.
La pêche « municipale » 26% de ce volume et 34% de sa valeur.
La pêche « commerciale » 23% de ce volume 27% de sa valeur.
Plus de 90% de la production halieutique est destinée à la consommation nationale.

Commentaire : cette estimation est obtenue en comparant le volume des captures/récoltes total à celui des exportations (pour se faire une idée de ce que cela représente, il faudra comparer ce pourcentage à celui d’autres pays où l’industrie de la pêche est importante).

Les trois principaux produits d’exportation sont (dans l’ordre) le thon (photos : « Capitale de la pêche au thon »), les algues (les Philippines sont le 3ème producteur mondial de plantes aquatiques) et les crevettes.
Les États-Unis, le Japon et la Communauté Européenne en sont les principaux destinataires.

Bon, assez de chiffres pour aujourd’hui !
Les reportages de terrain, la confrontation des points de vue (pêcheurs artisanaux, ONGs environnementalistes, exportateurs), l’étude des situations conflictuelles (code de la pêche de 1998 amendé en 2015, privatisation du littoral, disputes territoriales…) viendront plus tard.