Philippines 2019

Philippines

El Pueblo Unido et la Nation dans tous ses états

Chaque année, au mois de juillet, le traditionnel discours présidentiel sur l’état de la Nation (SONA) pousse dans la rue des milliers de manifestants. 2019 n’a pas dérogé à la règle : ils étaient 5.000 selon la police, 40.000 selon les organisateurs de ce « United People’s SONA » à braver une pluie diluvienne pour dénoncer les renoncements du président Duterte face à une Chine expansionniste et la brutalité (c’est une euphémisme) de ses méthodes.

S’il n’y a qu’une chose à retenir du SONA cru 2019, c’est certainement la présence, derrière une même banderole, de représentants des deux gauches – la radicale d’obédience communiste et l’altermondialiste (plus ou moins social-démocrate) – qui se haïssaient cordialement, ne s’adressaient pas la parole et s’ignoraient ostensiblement depuis des années. Le rapprochement avait toutefois commencé en 2018, quand l’ensemble des organisations syndicales, à l’occasion du 1er mai, défilèrent côte à côte pour la première fois depuis la chute de Ferdinand Marcos, en 1986 (voir: Manille : 1er mai unitaire, enfin !).
Une convergence réaffirmée le 1er mai 2019 et élargie ce 22 juillet.

L’inaltérable popularité de « Rody » Duterte – 79% des philippines se déclarent satisfait du président en dépit des milliers de cadavres qui jalonnent sa guerre à la drogue – et le triomphe de ses partisans lors des récentes élections de mi-mandat (voir : Inquiétantes élections de mi-mandat) ne sont sans doute pas étrangères aux rapprochements entre groupes politiques, secteurs sociaux et représentants de l’église catholique qui, jusqu’ici, ne réussissent au mieux qu’à égratigner le pouvoir en place sans parvenir à constituer une réelle menace.

Le « United People’s SONA 2019 » rassemblait donc, outre les gauches déjà citées et les organisations (syndicales, paysannes, indigènes, étudiantes…) situées dans leur mouvance, de nombreux prêtres et religieuses catholiques et protestants et des personnalités sans affiliation politique, comme Maria Lourdes Sereno, ex-présidente de la Cour suprême de justice, récemment démise de ses fonctions dans des conditions pour le moins litigieuses (voir : La justice dans la ligne de mire du président).

Au chapitre des revendications exprimées, des mots d’ordre scandés, brandis, graffités, théâtralisés par les manifestants on relevait :

– Refus des dérives autoritaires du pouvoir – la dictature plus jamais ! Duterte = Hitler –, de son mépris affirmé des droits humains et des institutions internationales au premier rang desquelles les Nations Unies et la Cour de Justice Internationale.
– Relance des pourparlers de paix avec la guérilla communiste et libération des négociateurs du NDFP – National Démocratic Front of the Philippines, qui représentait le Parti communiste philippin et la Nouvelle armée du peuple à la table des négociations abruptement interrompues par le président Duterte en novembre 2017.
– Halte à la guerre contre la drogue qui n’est qu’une guerre déguisée contre les pauvres.
– Halte aux exécutions extra-judiciaires de paysans, d’indigènes, de défenseurs des droits humains ou de l’environnement.
– Pour un salaire minimum national de 750 pesos/jour (13 euros).
– Pour en finir avec avec les contrats courts indéfiniment renouvelés (connus comme « ENDO » : end of contract).
– Assez de propos sexistes et misogynes !
– Non à la privatisation de l’eau.
– Non à l’ouverture sans restriction aux importations de riz.
– Non à la fermeture des écoles indigènes à Mindanao.
– Non aux grands projets de barrages destructeurs de l’environnement.
– Non aux expulsions de communautés urbaines pauvres autour de la baie de Manille (voir : Sale temps pour la baie de Manille).
– Non à la criminalisation de l’opposition – les syndicalistes ne sont pas des terroristes ! Militer n’est pas un crime !
– Non au « label rouge » (red-tagging) accolé à des organisations de défenseurs des droits humains, d’enseignants, d’étudiants, de juristes, de paysans, d’indigènes, ainsi qu’à des syndicats, des ONG religieuses et de la société civiles (voir : Amalgames criminels).
– …

Mais c’est incontestablement la Chine qui tenait cette année la vedette : tee-shirt bleus symbolisant la mer de Chine méridionale, bateaux et poissons en carton, en bambous, en ballons, portés en chapeau, poussés sur des chars de carnaval qui seront brûlés à l’issue de la marche…

Depuis le début du mandat de Rodrigo Duterte, les relations du président avec son homologue Xi Jinping font polémique.
– L’appel massif aux capitaux chinois pour le financement de « Build, Build, Build », un vaste programme de construction d’infrastructures destiné à booster l’économie de l’archipel, présente un risque élevé d’endettement et de dépendance à l’égard d’une puissance étrangère – « les Philippines ne sont pas à vendre », proclamaient des banderoles dans le cortège du United People’s SONA.
– L’arrivée de milliers d’expatriés chinois, employés notamment dans le secteur (en plein boum) des casinos et des jeux en ligne, inquiète.
– Le constat que rien ou pas grand chose n’est fait pour tarir le flux de drogues de synthèse en provenance de Chine est mis en regard des milliers de morts occasionnés par l’emblématique guerre à la drogue de Rodrigo Duterte.
– Le conflit territorial en mer de Chine méridionale, enfin, principale pomme de discorde, connaît un regain de tension depuis que, le 9 juin dernier, au nord des îles Spratlys, un navire chinois a éperonné et coulé le Gem-Ver, un bateau de pêche philippin, Pékin se contentant d’évoquer à ce propos : « un incident maritime routinier ».

Après être resté longtemps muet, le président Duterte, qui ne manque pourtant pas une occasion de rouler les mécaniques, s’est déclaré impuissant face à l’expansionnisme chinois : une attitude que les manifestants du United People’s SONA ne se sont pas privé de brocarder.