Philippines 2007

Philippines

Manille / Retour sur image

Manille, 29 novembre 2007, en fin d’après-midi. Des soldats observent l’entrée de l’hôtel Peninsula où sont retranchés le sénateur Antonio Trillanes IV, le général Danilo Lim et une trentaine de militaires mutins – ils exigent la démission de la présidente Gloria Macapagal Arroyo qu’ils accusent de corruption. Onze ans plus tard…

En juillet 2003, déjà, un groupe d’officiers et soldats rebelles emmenés par Trillanes (il était alors militaire) et Lim avaient occupé un hôtel de la capitale – l’hôtel Oakwood – d’où ils avaient dénoncé la corruption du régime et demandé la démission de la présidente. En prison depuis cette date, les mutins comparaissaient ce jour (29/11/2007) devant devant la justice. A l’issue de l’audience, ils ont tout simplement quitté l’enceinte du tribunal, sans rencontrer d’opposition, et rejoint à pied l’hôtel Peninsula – un des grands hôtels situés dans le quartier des affaires de Makati – d’où ils ont appelé la population à se soulever. Quelques dizaines de sympathisants seulement sont descendu dans la rue… tandis que trois bataillons étaient mobilisés contre les mutins : la tentative de coup d’état ne fait pas long feu, Trillanes et Lim se rendent sans combat et retournent en prison. La présidente Gloria Macapagal Arroyo, en dépit de multiples scandales – elle est considérée par beaucoup comme la chef d’état la plus corrompue de l’histoire des Philippines modernes –, ira jusqu’au terme de son mandat.
En 2010, Benigno « Nonoy » Aquino III lui succède.
Le 20 décembre de la même année, Antonio Trillanes IV, amnistié par le nouveau président, est libéré.
Le 18 novembre 2011, un mandat d’arrêt pour « sabotage du processus électoral » est délivré contre l’ex-présidente Arroyo, alors qu’elle est hospitalisée pour une opération de la moelle épinière. Elle sera libérée sous caution huit mois plus tard.
Et en mai 2013, Antonio Trillanes IV retrouve sa place au sénat.
Fin du chassé-croisé ? Que nenni !
En mai 2016, Rodrigo Duterte est élu président.
Dès juillet, il lance sa mortifère « guerre contre la drogue ».
Et commence à éliminer un à un ses adversaires : mise au placard de la vice-présidente Leni Robredo dès le début de son mandat [1] ; emprisonnement de la sénatrice Leila de Lima (février 2017), accusée de complicité avec des narcotrafiquants.
Dans le même temps, les charges pesant contre l’ex-présidente Gloria Macapal Arroyo sont levées et celle-ci rejoint les rangs de la majorité présidentielle et le sénat par la même occasion.
Puis, faute d’avoir réussi à la coopter, Rodrigo Duterte s’attaque à la gauche : rupture des négociations entamées avec l’insurrection communiste (novembre 2017), menaces contre les organisations de la gauche légale accusée de complicité avec le mouvement armé.
Durant les premiers mois de 2018, la destitution de Maria Lourdes Sereno, présidente de la Cour Suprême de Justice, marque la mise en coupe réglée de l’institution judiciaire (voir : La justice dans la ligne de mire du président).
Et le 23 juillet, à l’issue de magouilles politicardes grand-guignolesques, l’ex-présidente Gloria Macapagal Arroyo est nommée présidente de la Chambre des représentants.
Dans les semaines qui suivent, elle s’impose comme la nouvelle éminence grise du président.
Et la chasse aux sorcières continue : le 11 août dernier, un mandat d’arrêt est lancé contre quatre dirigeants de la gauche radicale (légale), accusés de participation à un double meurtre dans une affaire visiblement montée de toutes pièces – l’affaire sera finalement classée trois semaines plus tard et le mandat d’arrêt annulé (Bulatlat, 13/08/2018).
Quant au sénateur Antonio Trillanes IV, tout au long de ces deux années de gouvernement Duterte, il n’a pas ménagé ses critiques à l’égard du régime – le sénat constitue aujourd’hui le dernier réduit d’une l’opposition parlementaire réduite à sa portion congrue (à ne pas confondre avec l’opposition de gauche). Il ne pouvait pas indéfiniment passer entre les gouttes : ce vendredi 31 août, le président Duterte a dénoncé l’amnistie dont il bénéficiait et ordonné son arrestation (Inquirer, 04/09/2018).


[1] Aux Philippines président et vice-présidents sont élus indépendamment l’un de l’autre et peuvent donc appartenir à des parti ou des courants politiques différents, voire opposés. C’est le cas avec Leni Robredo, représentante d’un centre néolibéral, qui dénonce, dès le début, la guerre anti-drogue du président. Arrivée juste devant Bongbong Marcos, fils de l’ex-dictateur, qui avait et a toujours, les faveurs de Duterte, elle est rapidement mise sur la touche et écartée des décisions de l’exécutif.