Philippines 2018

Philippines

Marché au poisson : les commerçants ont l’ouïe fine

Toutes les nuits et jusqu’à l’aube, le marché au poisson de Malabon devient une ruche débordante d’activité.

Minuit. Ça charge, ça décharge (des camions), ça soulève, ça crochète, ça tire, ça pousse (des chariots), ça chevauche (des tricycles), ça porte sur la tête, sur l’épaule, ça grouille, ça demande le passage, ça enjambe, ça s’écarte (ou pas), ça bouchonne, ça s’essuie le front, ça jette des pelletées de glace, ça gratte les écailles, ça rince à grande eau, ça vide des bassines dans le caniveau (qui déborde), ça patauge, ça porte des bottes, ça s’agglutine, ça regarde, ça se penche, ça retourne, ça tâte, ça plonge les mains, ça prend par la nageoire caudale, ça soupèse, ça évalue la qualité des thons jaunes, des thons obèses, des bonites, des sardines, des maquereaux, des anchois, des carpes, des tilapias, des fusiliers, des sabres, des blanche-fils, des poissons-chat, des poissons-lait, des poissons-gluants, des poissons-gerres, des seiches, des calmars, des moules, des palourdes, des crabes, des crevettes tigrées, des gambas, des cigales de mer, du krill…

Le krill est constitué d’une myriade de minuscules crevettes qui migrent la nuit vers la surface et s’enfoncent plus profond durant le jour. Consommé par ne nombreux prédateurs – des requins aux pingouins en passant par les calmars – le krill constitue un maillon de base de la chaîne alimentaire. Quelques 150 à 200.000 tonnes de krill sont pêchées chaque année. La plus grande partie est utilisée par l’aquaculture. Au Japon, en Russie et aux Philippines le krill sert de base à la fabrication de condiments.
Aux Philippines, le bagoóng alamang (pâte de crevette) est préparé à partir de krill fermenté et de sel. D’abord nettoyées et lavées, les crevettes sont ensuite mélangées à la main avec le sel, puis la mixture est conservée de 30 à 90 jours dans de grandes jarres de fermentation en terre cuite.

Un kilomètre, peut-être, à vol d’oiseau, sépare le grand marché au poisson de Navotas de celui de Malabon. Le premier est un marché d’état, les navires des grandes compagnies de pêche industrielle y commercialisent leurs prises, qu’ils déchargent sur les quais du port qui lui est contigu. Le second est privé, approvisionné essentiellement par la petite et moyenne pêche commerciale des quatre coins de l’archipel et la pêche municipale de la baie de Manille.

Mais à Malabon les produits de la pêche n’arrivent pas en bateau. Ils viennent en camion. Ils ont été achetés par des commerçants. Les middlemen. Ceux qui vont sur la grève où les pêcheurs municipaux tirent leurs bangkas, sur les sites où abordent les navires de la petite et moyenne pêche commerciale. Une table, une chaise dans un coin d’ombre. Un carnet, un téléphone portable qui sert de calculette. Des liasses de billets – tout se paie en liquide. Ils sont là pour acheter. Les pêcheurs pour vendre. Il est rare qu’ils disposent d’un système de froid, la glace exceptée, pour la conservation du poisson. Ils doivent vendre vite. Difficile de négocier dans ces conditions. Les middlemen leur prêtent parfois de l’argent, à des taux élevés. Pour finir le mois, acheter du carburant.

Aux Philippines, on appelle consignations les points où les middlemen attendent les pêcheurs. Le même terme de consignation désigne les emplacements au marché de Malabon. Les commerçants et les restaurateurs du Grand Manille et au-delà viennent s’y approvisionner. « Les prix fluctuent, explique l’un d’eux, selon les arrivages et l’affluence des acheteurs, souvent plus nombreux en fin de semaine, ce qui fait grimper les prix ». Des prix qui ne sont ni criés, ni affichés. Ici, la tradition du bulangan perdure et c’est l’acheteur qui approche le vendeur. Il lui murmure à l’oreille ce qu’il est disposé à payer pour tel ou tel lot. Une fois qu’il a fait le tour des offres, le vendeur désigne le gagnant. Mais le montant de la transaction ne sera pas divulgué.

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