Philippines

Métro Manille (3) Hors-la-loi

Nemo est seule devant une tasse de café – une table à côté de la baie vitrée qui donne sur la station United Nations de la ligne jaune, une tasse en carton, un café qu’elle a pris au distributeur et payé à la caisse du Wendy. Elle tourne son café dans le sens des aiguilles d’une montre – avec un bâtonnet en plastique rouge et blanc – et dans tous les sens les questions qui lui trottent dans sa tête.

En débarquant aux Philippines, Nemo envisageait de devenir contrebandière. Elle dégota, par le biais d’une petite annonce, un bateau d’occasion pour moins de cinq mille euros, le baptisa « Nautilus » – ce qui lui valu le surnom qu’elle portera d’un bout à l’autre de ce récit – et fit naufrage une semaine plus tard.
Dans le civil elle était bibliothécaire et, hormis la lecture assidue des romans de Jules Vernes et des récits de grands voyageurs, n’avait aucune compétence en matière de navigation, à voile comme à moteur. Après cet échec, elle revint à Manille frustrée de n’avoir pas commis le moindre délit mais nullement découragée. Elle prit une chambre dans un hôtel modérément glauque, jouxtant un bar à putes toujours vide, mais à deux pas de la promenade qui longe la baie. Et en attendant de se sentir prête à entamer une carrière criminelle réellement valorisante – tueur à gage, par exemple – elle décida de se faire la main comme pickpocket dans le métro.

Elle a commencé hier.

Ayant encore du mal à s’orienter dans Manille, Nemo s’égara d’abord puis, après avoir emprunté plusieurs jeepney, elle se retrouva, sans trop savoir comment, à la station de métro Magellan.
Magellan ! Mort dans l’île de Mactan, le 27 avril 1521, transpercé par une flèche empoisonné. Pour elle qui avait lu et relu le récit d’Antonio Pigafetta, c’était un signe. Elle prit un ticket de la ligne bleue et attendit le prochain train, direction North Avenue.
Il restait encore quelques places assises dans la rame. Nemo s’inséra entre deux collégiennes accrochées à leur téléphone et un mec à la dégaine d’artiste portant un carton à dessin. Il dégageait une légère odeur de poisson fumé – allez savoir pourquoi –, aussi Nemo le baptisa-t-elle Haddock. Ce fût sa première (et jusqu’à présent seule) victime.

Se tordant le cou pour lorgner en direction de sa voisine – Nemo – qu’il trouvait visiblement à son goût, Haddock ne savait plus comment tenir son encombrant carton à dessin d’où, sans qu’il s’en rendit compte, s’échappa une feuille pliée en quatre. Peut-on parler de vol quand un morceau de papier vous tombe sur les genoux et, qu’au lieu de la rendre à son propriétaire, vous l’escamotez prestement ? Nemo se posa la question. Mais pas longtemps. Elle n’éprouvait aucun scrupule. Plutôt une certaine fierté à se sentir hors-la-loi. Bien qu’elle eut pris un ticket à 15 pesos lui permettant d’aller jusqu’en bout de ligne, elle descendit à la station suivante : Ayala.

La photo accompagnant ce texte a été prise ce jeudi 14 août 2014, entre les stations United Nations et Central Terminal (ligne jaune), juste après un orage.

Et maintenant son café refroidit pendant que Nemo regarde encore et encore une feuille couverte de croquis, ébauches, notes, gribouillis illisibles, flèches, traits, croix, tracés par plusieurs mains, au crayon noir, au stylo, au pinceau, en noir, bleu, jaune, violet, parfois à demi effacé ou se superposant. En haut à gauche, elle a repéré ce qui doit être un numéro de téléphone. Celui d’Haddock ?

à suivre…