Philippines

Métro Manille (6) En bande organisée

Nemo tira de sa rencontre, avec celui qu’elle avait sans le connaître surnommé le Caïd, un bilan mitigé. Bien que le stratagème destiné à identifier sa cible comportât nombre de contraintes superflues, il l’avait follement amusé – le Caïd affublé d’un T-shirt Batman était impayable.

Mais quand ils entrèrent dans le vif du sujet – quel était le casse, l’escroquerie, le crime planifié l’arnaque… qui se cachait cet absurde projet de tatouage ? – Nemo se heurta à un mur d’apparente incompréhension, polie voire amusée.
Elle eut beau bluffer avec beaucoup de naturel, laisser croire qu’elle en savait bien plus que ce n’était le cas, se faire menaçante avec délicatesse, suggérer discrètement le chantage – pratique répugnante, elle en convenait, mais en dernier recours que voulez-vous… Rien n’y fit.
Espérant lui faire comprendre qu’elle n’était pas dupe, Nemo embraya sur Metro Manila, un récent film de Sean Ellis.

L’histoire, au départ banale, raconte les tribulations d’un couple de jeunes paysans et de leurs deux petites filles. Après une mauvaise récolte, poussés par la misère, ils décident de tenter leur chance à Manille. Mais la capitale est un mirage et nos héros échouent bientôt dans un bidonville de Tondo. Elle se résout à travailler comme entraîneuse dans un bar. Lui est embauché comme convoyeur de fond. « Le métier le plus dangereux de la capitale », lui dit son coéquipier, un type brutal mais qui semble l’avoir à la bonne. Puis le mec révèle à Antonio (le héros) qu’une boîte bourrée d’argent est dissimulée quelque part dans le logement qu’il a mis complaisamment à sa disposition. Détournée à la suite de l’attaque du fourgon blindé qui a coûté la vie au convoyeur dont Antonio a pris la relève, la boîte est fermée à clé et munie d’un dispositif qui lâche sur les billets de l’encre indélébile si l’on tente de forcer la serrure. Mais le salaud a un plan.

Pas un plan du métro, glissa Nemo à dessin. Et elle interrompit son récit alors qu’il commençait à devenir palpitant. Pas un plan du métro mais… Le Caïd n’avait pas dit un mot tandis qu’elle pérorait. Il écoutait. Poliment et même, lui sembla-t-il, avec un certain plaisir. Mais il ne releva pas l’allusion.
Tout ce que Nemo parvint à apprendre fût qu’Haddock était son seul complice. Recruté localement, l’artiste au relent de poisson fumé habitait dans le vieux quartier de Quiapo et le Caïd ne fit aucune difficulté pour communiquer son adresse à Nemo – elle se promit de lui rendre visite, espérant que l’oiseau des îles se montrerait plus malléable que son patron.
Enfin, voyant qu’elle ne parviendrait pas à lui tirer les vers du nez, Nemo s’offrit à collaborer à l’opération. Elle exigeait bien sûr que l’on partagea le butin en trois parts égales… et ne fût pas peu surprise quand le Caïd, vaguement moqueur, accepta sans même négocier les pourcentages et l’invita au restaurant de l’hôtel Peninsula, à Makati, pour célébrer leur toute nouvelle constitution en bande organisée. Gentleman cambrioleur ? se demanda Nemo qui passa sans transition du Caïd à Arsène.

Makati se regarde en contre-plongée,
mais pas trop, dit Nemo, sinon gare au torticolis.
Makati, énumère Nemo, c’est avenues, ascenseurs, acier brossé, ambassades… Ayala
béton, buildings, bobo, business, banques, bourse, boutiques, boulevards
cols blancs, climatisé, cafeteria, connecté, chic, cher
deux mille sept cent trente-six hectares,
exclusif,
finance, fric, fourgons blindés, fesse à Burgos Street,
grandes familles, grosses fortunes, galeries marchandes,
haut de gamme, huppé, holdings, huit cent cinquante pieds de la Philippines Bank of Communication Tower,
immeubles résidentiels, investissements,
joint-venture, jeepney,
karaoké,
laveurs de carreaux, livreurs de pizza,
multinationales, monumental, marbre, musée… Ayala
notables,
ouvriers grimpés sur des échafaudages vertigineux,
passages souterrains, protégés, privé, penthouse, piscine, plates-bandes, policé, police, palaces,
quatre étoiles (et plus),
restaurants, rectiligne, reflets,
sécurisé, soixante-treize étage de la Gramercy Résidence,
trader, trottoirs, trente-trois barangays, Triangle… Ayala,
une des seize municipalités qui forment le Grand Manille,
VIP, Vuiton, vitrine, verre, vigiles,
wifi, whisky,
XXL,
y’a sûrement encore plein d’autre choses qu’elle oublie,
zone franche par exemple.

à suivre…

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