Burkina Faso 2018

Burkina Faso

Parole de syndicaliste / Bassolma Bazié

La fonction de secrétaire général de la CGT-B n’est pas une sinécure, plutôt un sacerdoce que, faute de détachement, Bassolma Bazié exerce en sus de son emploi de professeur de SVT au Lycée Kaboré de Ouagadougou. Élu en 2013 à la tête de la principale centrale du pays, ses camarades l’appellent « Général » et ses adversaires respectent le porte-parole d’un mouvement syndical qui a gagné ses lettres de noblesses au cours de décennies de luttes et demeure incontournable au Pays des Hommes Intègres.

Au Burkina Faso, 47% du demi-million de travailleurs enregistrés dans le secteur formel (ceux qui cotisent à la Sécurité Sociale) sont syndiqués. Ils ne représentent, hélas, que 8% des actifs du pays. Le reste, 6 millions de personnes, étant constitué de travailleurs du secteur informel : paysans, orpailleurs, petits commerçants…

Dès la période coloniale, rappelle Bassolma Bazié, le syndicalisme se développe en Afrique de l’Ouest, notamment sous l’impulsion de la CGT française ». En 1937, un décret du Front Populaire légalise le droit à se syndiquer pour tous les africains – avec un bémol toutefois : il faut être titulaire du brevet d’études primaires.
« L’Union des Syndicats de Haute Volta est fondée au lendemain de la deuxième guerre mondiale, continue le Général, sur des bases révolutionnaires et anti-impérialistes ».
Après l’Indépendance (5 août 1960), le mouvement syndical s’oppose à toutes les tentatives de création d’un parti unique (y compris durant les années du gouvernement révolutionnaire de Thomas Sankara). L’existence de différents courants de pensée conduit cependant à des scissions.
« En 1988, naît la CGT-B qui, fidèle à ses engagements révolutionnaires, devient un moteur des luttes sociales et pour les droits humains. Elle jouera un rôle déterminant dans la création d’une commission d’enquête sur l’assassinat du journaliste Norbert Zongo (1998), insiste Bassolma Bazié, et deviendra, dix ans plus tard, l’un des piliers du Collectif citoyen contre la vie chère, créé dans le sillage des émeutes de la faim (2007-2008) ».

En 2014, pourtant, alors que les voix réclamant le départ du président Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 27 ans, se font de plus en plus nombreuses, le mouvement syndical campe sur sa réserve : « remplacer Blaise Compaoré par un de ses complices de toujours ne changera rien », prévient-on à la CGT-B. Ainsi, lors des journées de manifestations et d’émeutes (27-31 octobre 2014) qui se concluent par la démission et la fuite du président Compaoré, ce sont les organisations de la « société civile » recrutant essentiellement dans la jeunesse – au premier rang desquelles le Balai Citoyen -, qui occupent le devant de la scène, éclipsant pour un temps le mouvement syndical.
« Cette émergence d’une multitudes d’organisations de la société civile témoigne d’une mobilisation citoyenne, d’une prise de conscience de la nécessité de s’organiser qui, estime Bassolma Bazié, sont éminemment positives, de même que l’expérience de l’action concrète ou la prise de conscience que, même à mains nues, un peuple debout peut tenir tête aux forces de la répression. Malheureusement le manque de maturité et de formation politique d’une grande partie de la jeunesse la conduit à penser qu’on pouvait tout changer d’un coup de baguette magique, qu’il suffit de couper la tête… sans se rendre compte qu’ils sont souvent manipulés voire cooptés par les mêmes qui des années durant, furent les architectes du système en place ».

Au lendemain du renversement de Blaise Compaoré, un gouvernement de transition est mis en place avec pour mission première l’organisation d’élections démocratiques dans un délais de douze mois. En dépit d’une tentative avortée de coup d’état, perpétrée en septembre 2015 par des militaires nostalgiques de l’ancien régime, celles-ci se tiennent quelques semaines plus tard. « Le mouvement syndical, rappelle Bassolma Bazié, a joué un rôle déterminant dans l’échec du coup d’état en paralysant l’activité économique du pays. Mais après, il n’y a pas eu de miracle… » Roch Marc Christian Kaboré, le nouveau président, est resté fidèle à Blaise Compaoré jusqu’à ce que, quelques mois seulement avant l’insurrection, sentant le vent tourner, il fonde avec une poignée de dissidents le Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP).

« Ceux qui attendaient que les changements viennent du gouvernement élu ont été déçu mais nous, syndicalistes, savions que rien ne se ferait sans luttes ». Des accords avaient pourtant été signés entre la plateforme d’action syndicale et le gouvernement de transition. « Mais à peine installé, le nouveau pouvoir s’est attaché à les remettre en cause, s’acharnant à diviser le mouvement syndical, à lui mettre des bâtons dans les roues – par exemple en interdisant les sit-in au motif qu’ils ne sont pas explicitement autorisés par la constitution –, à l’affaiblir en autorisant les entreprises à recourir aux CDD à répétition ». Peine perdue. Alors que les organisations de la société civile se divisent et se se déchirent, le mouvement syndical demeure uni et, ces derniers mois, il a multiplié les actions autour de revendications aussi diverses que la gratuité des urgences dans la santé, le règlement des taxes impayées dues par les entreprises, le versement de 1% du chiffre d’affaire des compagnies minière au développement local, l’attribution de frais de transport aux agents de développement agricole et aux enseignants affectés dans les villages éloignés…
« Encore une fois, conclue Bassolma Bazié, le syndicalisme fait la preuve que, loin d’être une survivance archaïque, il demeure un outil incontournable des les luttes populaires ».