Philippines 2014

Philippines

Trop belle (pour eux) la plage !

Des centaines de communautés de pêcheurs habitent le long des 39.289 kilomètres du littoral philippin et, après une journée en mer, tirent leurs « bankas » sur des plages de rêve. Trop belles (pour eux) ces plages ! Ne seraient-elles pas mieux « rentabilisées » par l’industrie touristiques ? Heureusement, un décret délimitant une bande de terre interdite à la construction (no build zone) de 40 à 200 mètres dans les zones à risque a été opportunément promulgué au lendemain du passage du typhon Haiyan.
A une vingtaine de kilomètres au sud de Tacloban, dans la commune de Tanauan, le Barangay (quartier) Bislig abrite une communauté de pêcheurs artisanaux.
Ici, le typhon Haiyan (baptisé Yolanda aux Philippines) a tout cassé : les maisons, les bateaux, les cocotiers (qui constituaient un revenu complémentaire essentiel). Après quoi les survivants ont retroussé leurs manches, tant bien que mal reconstruit des habitations, fabriqué de nouveaux bateaux avec les matériaux fournis par des ONG.
Aujourd’hui, la situation est loin d’être revenue à la normale – une normalité qui, dans leur cas, n’a jamais été faste –, mais les habitants de Bislig n’ont pas la moindre intention d’aller s’installer ailleurs. Même si des représentants de la municipalité les menacent d’expulsion car une bonne moitié des habitations de la communauté sont bâties à moins de 40 mètres de la mer, sur une zone récemment interdite à la construction (no build zone).

C’est au lendemain du passage d’Haiyan, qu’une bande côtière de 40 à 200 mètres de profondeur a été déclarée non constructible dans les zones considérées comme à risque. Dans un pays balayé chaque année par une trentaine de typhons, la mesure peut sembler de simple bon sens, mais…

MAIS aux Philippines des centaines de communautés de pêcheurs artisanaux vivent sur cette frange littorale et, selon une estimation basse de la Commission nationale contre la pauvreté (National Anti-poverty Commission), la mise en œuvre des « no build zones » conduirait au déplacement de 252.688 familles.

MAIS ces familles, généralement pauvres parmi les pauvres, n’ont pas d’autre endroit où aller ni d’autre moyen de subsistance que cette mer dont la proximité leur est indispensable.

MAIS huit mois après le passage du typhon les critères de mise en œuvre des « No build zones » n’ont toujours pas été clairement définis, les fonds manquent pour l’achat de terrains destinés à la réinstallation des communautés déplacées et le sort de celles-ci demeure dans le flou.

MAIS la mesure fait un peu trop le jeu d’investisseurs intéressés par les terrains ainsi « libérés » de leurs occupants pour qu’on ne soit pas tenté d’y soupçonner des motivations autres que purement humanitaires.

Alors, bien sûr, ça n’a rien à voir mais…
… en 2016, les Philippines devraient accueillir quelque 6 millions de touristes étrangers (4,2 millions en 2013), d’où un besoin urgent d’accroître la capacité d’hôtelière du pays, aujourd’hui notoirement insuffisante.

Et ça n’a toujours rien à voir si…
… le 23 janvier 2014, Panfilo Lacson, le Monsieur Réhabilitation nommé par le président Benito « Noynoy » Aquino III, annonçait que neuf des principaux groupes financiers philippins allaient participer à l’effort de reconstruction – dans des domaines allant de la construction de logements à l’éducation en passant par le soutien à des projets communautaires – et s’étaient réparti seize zones d’intervention.

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Car c’est évidemment sans arrière pensée…
… que le groupe Aboitiz (immobilier, transport maritime et aérien, tourisme) a décidé d’œuvrer dans des régions – l’est de l’île de Samar, l’ouest de celle Leyte et le nord Cebu – dont le potentiel touristique est encore largement sous-exploité.

… ou qu’Enrique Razon, important opérateur portuaire et Manny Pangilinan (groupe PLDT, télécommunications, médias et exploitation minière) se concentrent sur la ville de Tacloban… où un grand projet de zone franche industrielle et port franc a été présenté comme moteur potentiel de la réhabilitation.

Pas plus que les intérêts du groupe n’entrent pas en ligne de compte…
… quand Ayala Corporation (premier promoteur immobilier du pays, présent aussi dans les secteurs de l’eau et des télécommunications) cible les îles de Panay et Negros – c’est pour leur bien que le groupe aurait entrepris de déplacer plusieurs communautés de pêcheurs artisanaux.

Et c’est certainement un hasard….
… si Manny Zamora, représentant philippin du géant minier, Nickel Asia, a choisi de « faire le bien » dans la région de Guiuan (province d’Eastern Samar) – dont le sous-sol contient d’importantes réserves de nickel.

Mais trêve de mauvais esprit ! et revenons à Bislig. Les terrains où réside depuis plusieurs générations la communauté de pêcheurs appartiennent à un propriétaire privé, qui a décidé de les vendre au magnat du fast-food philippin Injap Sia, patron de la chaîne Inasal… dès que ses occupants auront été relogés. « Mais le terrain proposé est situé à trois kilomètres du rivage », explique Leia Dorana, dirigeante du mouvement de résistance au déplacement de la communauté.

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