Colombie 2013

Colombie

Zone humanitaire de Camelias

En dépit des invasions organisées par les entreprises agroindustrielles et des menaces de mort exercées par les paramilitaires, les habitants de la zone humanitaire de Camelias continuent de revendiquer la restitution des terres perdues lors des déplacements de 1996-97.

Trente trois familles résident aujourd’hui dans la zone humanitaire de Camelias. Le hameau est situé dans la commune de Carmen del Darien, à deux heures de route d’Apartado, dans la région de l’Uraba, au nord-ouest de la Colombie.

En 1996-97, les bombardements de l’armée et l’offensive terrestre, menée conjointement avec les paramilitaires des Autodéfenses paysannes de Colombie (AUC), contraignent des milliers de paysans de l’Uraba à fuir leur terre. Beaucoup de réfugient dans les centres urbains de Turbo ou Pavarando, d’autres, comme les habitants de Camelias, redoutant de se mettre sous la « protection » des autorités, préfèrent prendre le chemin de la montagne et se cachent dans la forêt – sans pour autant rejoindre la guérilla.
« Au début, nous ne mangions que ce que nous trouvions dans la forêt, raconte Don Lucho. La nuit nous ne pouvions pas faire de feu de peur d’être repérés. Nous dormions serrés les uns contre les autres, montant la garde à tour de rôle. Nous devions garder un silence absolu, les femmes donnaient le sein aux bébés pour qu’ils ne pleurent pas et on faisait la leçon aux plus âgés. Les moustiques étaient terribles et le paludisme faisait des ravages… »
Cette situation se prolongera pendant près de dix ans avant que les familles, accompagnées d’observateurs internationaux, commencent à sortir de la clandestinité.

En 2008, quand la zone humanitaire de Camelias est créée, une grande partie des terres de la communauté a été « vendue » à des entreprises agroindustrielles productrices d’huile de palme, à l’issue de transactions frauduleuses souvent conclues avec les paramilitaires – en 2010, la Fiscalia a ouvert une enquête contre 24 entreprises de palmiculture soupçonnées d’entretenir des liens avec des groupes paramilitaires.
« Heureusement », la même année, une épidémie ravage les plantations de palme africaine et met (provisoirement) un terme à l’expansion de cette monoculture… permettant ainsi aux habitants de Camelias de récupérer une partie de leurs terres, déclarées « territoire collectif » par la Cour constitutionnelle.

Les habitants de Camelias ne sont pourtant pas au bout de leurs peines. Et si la palme africaine a du plomb dans l’aile, les compagnies bananières continuent de lorgner sur ces terres fertiles et abondamment arrosées.
Ainsi, en décembre 2010, plusieurs centaines de paysans armés de machettes envahissent les terres des hameaux de Camelias et Andalucia, construisent des abris, détournent des cours d’eau et commencent à semer des bananes. L’opération a été soigneusement préparée et en grande partie financée par la compagnie bananière Banacol (filiale de la multinationale Chiquita Brand, elle-même reconnue coupable d’avoir financé les organisations paramilitaires colombiennes). Dans les semaines précédant l’invasion, diverses officines et une radio locale ont alléché des paysans pauvres les invitant à s’installer sur des terres « inoccupées », leur offrant des semences, des outils et une aide financière, tandis que Banacol s’engageait à acheter leur future production de bananes.

S’appuyant sur le Droit Humanitaire International et sur l’accompagnement d’observateurs nationaux et internationaux, les Zones Humanitaires naissent comme une stratégie de protection des communautés paysannes au milieu du conflit armé et face au redéploiement paramilitaire (dont la soi-disant démobilisation n’a été que poudre aux yeux).
Au delà de cet aspect défensif, les Zones Humanitaires sont aussi des enclaves de résistance citoyenne, qui permettent aux communautés de se regrouper, de s’organiser, de revendiquer leur droit à la terre et au territoire, de mettre en œuvre des projets de vie autonomes.

Débordée par le nombre, durant les premières semaines de l’invasion, les habitants de Camelias entreprennent de reconquérir les terres illégalement occupées. Face à la passivité des autorités, ils mettent en œuvre des mesures plus radicales – destruction des plantations. Celles-ci s’avèrent efficaces et la plus part des « envahisseurs » plient bagages (ce n’est malheureusement pas le cas dans la zone humanitaire voisine d’Andalucia).

En dépit de ces succès, une part importante du territoire communautaire demeure aujourd’hui aux mains d’entreprises agroindustrielles et la communauté continue de revendiquer leur restitution… Ce qui vaut à ses leaders d’être menacés de mort.

Voir : Amnesty International / Action urgente : Les dirigeants associatifs Ligia María Chaverra et Enrique Petro, en danger

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