Burkina Faso 2015

Burkina Faso

Le guérisseur aux sachets d’eau (2) Les patients

Depuis qu’il s’est installé dans le quartier de Tanghin, plusieurs milliers de patients sont passés entre les mains de Boulango Dabourgou et, jour après jour, une foule hétéroclite de candidats à la guérison miraculeuse débarque au campement du guérisseur.

Il en arrive tous les jours. A pied, en vélo, en moto, en taxi en voiture personnelle. Venus d’autres quartiers de la capitale, des quatre coins du Burkina Faso ou même des pays voisins. Seuls ou accompagnés par des membres de la famille, des amis.

Une fois à destination, les plus riches envoient leurs gens s’enquérir de la procédure et attendent dans leur 4X4 climatisé. Les pauvres se renseignent timidement. Où est le guérisseur ? Viendra-t-il aujourd’hui ? On leur répond généralement d’attendre, qu’il viendra sans doute, à l’heure qui lui conviendra. Pleins d’espoir, les patients patientent.

Selon leur mal, les nouveaux arrivants sont d’abord orientés vers les « urgences » – un emplacement où sont regroupés les patients souffrant de handicaps moteurs, mal de dos, de tête, de ventre, de reins, de foie, de rhumatismes articulaires, de polio, d’épilepsie… – ou vers l’un ou l’autre des emplacements réservés aux aveugles, sourds-muets, fous, femmes stériles, personnes qui cherchent argent, travail ou amour.

Une fois rendus au « service » qui lui correspond, le malade cherche, entre les dizaines d’autres patients déjà installés, une place où dérouler sa natte, à même le sol, et s’assied. Pas de tente ni d’auvent. Pas de sanitaires. Le soleil tape dur. Des marchands ambulants circulent jour et nuit dans les allées de cette Cour des miracles, proposant sachets d’eau minérale, ombrelles, bananes, beignets, cartes téléphoniques pré-payées, mouchoirs… Et les patients patientent.

L’attente peu durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Assis ou allongés sur un terrain sans ombre, balayé par le vent qui soulève des nuages de poussière ocre, les malades sont bientôt recouvert d’une pellicule de terre qui nivelle les différences. Qu’ils soient riches ou pauvres, les patients patientent.

Aucun paiement n’est réclamé aux malades – ce qui provoque la fureur des marabouts traditionnels qui perdent leur clientèle. Mais certains font des dons. Un homme d’affaire remet ainsi au guérisseur 200.000 FCFA (environ 300 euros) qui sont aussitôt investis dans l’achat de néons et matériel de branchement pour améliorer l’éclairage du camp (alimenté par un générateur).

Au bout de quelques jours passés à accompagner le guérisseur, je suis connu comme le loup blanc. Certains malades m’approchent et me demandent d’intercéder en leur faveur – je leur réponds que je n’ai aucun pouvoir en la matière et que le guérisseur déteste les passe-droits.
De jeunes sourdes-muettes délurées me font de grands signes dès qu’elles m’aperçoivent et, avec force rires et gestes sans équivoques, tentent de me convaincre de choisir l’une d’entre elles pour épouse.
Un peu plus loin, Cathy, vingt-cinq ans environ, me raconte qu’elle soufre de maux de ventre chronique, qu’elle a mis toutes ses économies dans le voyage Abidjan-Ouagadougou, qu’après une première séance de traitement collectif, elle est passé des « urgences » à l’espace où les malades attendent la deuxième étape du traitement. Pour passer le temps, elle brode une tapisserie dont elle espère tirer un peu d’argent. Elle va un peu mieux, dit-elle.
Les larmes aux yeux, un vieux monsieur fortuné, ex-cadre d’une entreprise ivoirienne, m’explique qu’il est là depuis près d’un mois et que le guérisseur l’ignore, alors même que son fils venu tout spécialement des États-Unis a proposé de l’argent pour soudoyer le faiseur de miracle.
A quelques mètre de là, une vielle femme se dessèche lentement sous un soleil de plomb. Un peu plus tard, le guérisseur ordonnera aux personnes qui l’accompagnent de l’emmener : état de déshydratation avancé.

… à suivre

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