Malaisie 2015

Malaisie

Manifestation Bersih 4 / 2ème jour

Avec 300.000 personnes rassemblées autour de la Place de l’Indépendance, la seconde journée de Bersih 4 bat tous les records de participation.

Au petit matin, les manifestants qui ont passé la nuit sur place s’ébrouent, roulent leurs duvets. On distribue du café. Aux abords de la Place de L’indépendance, cantines, fast-foods et restaurants sont pris d’assaut par des consommateurs vêtus de jaune. La seconde journée de Bersih 4 débute fort.

Avertissements, mesures dissuasives, interdictions, menaces : les autorités n’avaient pourtant pas lésiné pour tenter de dissuader les candidats à la manifs. Pour mémoire (mais j’en oublie sans doute) : la manifestation de Bersih 4 est déclarée illégale, la police appelle la population à ne pas y participer, Datuk Seri Idris Jusoh, ministre de l’éducation intervient pour déconseiller aux étudiants de se rendre à la manifestation et prévient que ne pas suivre son conseil pourrait avoir des conséquences fâcheuses pour les contrevenants, le site Internet de Bersih est bloqué plusieurs jours avant la date du rassemblement (il l’est toujours à l’heure actuelle), un arrêté « interdisant absolument le port de tout vêtement de couleur jaune portant le logo Bersih (…) l’impression, la production, la publication, la vente, la distribution ou la possession de ces objets », est publié la veille de la manifestation car actions sont jugées « préjudiciables à l’ordre public, à la sécurité et à l’intérêt national ».

Dès 11 heures, les rues sont jaunes de monde. Sur la scène tournant le dos aux barrières mises en place par la police, sous les arches du métro aérien, sur les trottoirs, des prises de parole sont organisées. A défaut d’un espace suffisant pour accueillir tant de monde, la foule déambule lentement, en une masse compacte traversée de courants. On marche derrière une banderole, en famille ou entre amis, on s’arrête pour se faire photographier devant un mot d’ordre griffonné sur un carton, en compagnie d’une personnalité politique ou même d’un photographe étranger qui passe par là. Najib Razak, le premier ministre soupçonné de détournement de fond est le bouc-émissaire préféré de la fête : représenté en poulet (la sonorité de son nom évoquant le terme chinois qui désigne ce volatile) il est emprisonné, pendu, piétiné et on l’invite à dégager. Au dos de nombreux tee-shirt frappé su logo de Bersih 4 sont inscrite les quatre principales revendications du mouvement : élections libres, gouvernement propre, économie, saine, respect de nos droits.

A la veille du rassemblement, l’institut de sondage Merdeka Centre publiait les résultats d’une enquête selon laquelle 51 % de la population urbaine était favorable à Bersih 4, contre 31 % de la population rurale ; Bersih était également plébiscité par 57 % des ménages disposant d’un revenu supérieur à 3.000 ringgits/mois (environ 600 euros), mais seulement 28 % de ceux n’atteignant pas ce seuil ; enfin, 81 % de la population d’origine chinoise s’affirmait pro-Bersih, contre 51 % des malaisiens d’origine indienne et 23 % des malais (qui représentent près des deux-tiers de la population totale du pays).

Emporté par la foule qui me traîne, qui m’entraîne… mes impressions concordent avec le sondage du Merdeka Center : manifestation classe moyenne, instruite, inquiète de la mauvaise passe que traverse l’économie malaisienne (le ringgit, la monnaie nationale, a perdu 24 % de sa valeur au cours des douze derniers mois, scandales et remous politiques contribuent à cette situation en décourageant les investisseurs). A un croisement, je tombe sur des militants du Parti Socialiste Malaisien. Ils vendent des journaux (que je en peux pas lire) et alternent prises de paroles et chants révolutionnaires (je reconnais une version en langue locale de Bella Ciao). Le masque blanc, fine moustache et sourire figé adopté par les Anonymous a la côte parmi les jeunes manifestants. Est-ce en référence au film V pour Vendetta, dans lequel un héros solitaire et masqué affronte une dictature omnipotente et dont la mort entraîne le peuple à se soulever contre l’oppresseur ?

Lors de la création de Bersih (« propre » en malais), en 2006, des organisations de la société civile et des partis politiques (d’opposition) se retrouvent au sein du mouvement pour revendiquer des élections libres (en Malaisie, le Barisan National, une coalition de partis politiques dominée par l’Organisation nationale unifiée malaise, est au pouvoir sans discontinuer depuis l’Indépendance).
La première manifestation de Bersih est organisée en novembre de l’année suivante. Elle rassemble entre 10.000 (selon la police) et 40.000 (selon les organisateurs) manifestants. Est-ce une conséquence ? L’année suivante, pour la première fois depuis 1969, la coalition au pouvoir n’obtient pas la majorité des 2/3 à l’Assemblée Nationale.
En 2010, Berish devient Berish 2.0, uniquement composé d’organisations de la société civile (ce qui n’empêche pas les partis politique d’opposition de continuer à soutenir le mouvement).
En 2011, constatant que ses revendications n’ont pas été prises en compte par la commission électorale, Bersih 2.0 appelle à une deuxième manifestation, puis une troisième (Bersih 3) en 2012.
Les revendications de Bersih 4 : Des élections libres. Un gouvernement propre (d’où la demande de démission du premier ministre soupçonné d’être impliqué dans une affaire de détournement de fond). Une économie saine. Le droit à la liberté d’expression.
Maria Chin Abdullah, est la présidente de Bersih 2.0.
Via le réseau Gobal Bersih, le mouvement a des relais dans plusieurs villes du monde.

Un peu avant minuit – le coup d’envoi de Bersih 4 avait été donné la veille à 14h et le rassemblement devait durer 34 heures – l’espace qui jouxte la Place de l’Indépendance est toujours bondé (photo d’en-tête), ainsi que les rues qui y conduisent. Mais il n’y aura pas d’incident. A l’heure convenue (ou presque) les manifestants regagnent sagement leurs pénates.

Et maintenant, quelles suites attendre à Bersih 4 ? Là, une analyse plus approfondie du panorama politique s’impose : ce sera pour un prochain article.