Bangladesh 2016

Bangladesh

Confection : trop d’entraves à la liberté syndicale

D’ACCORD en ALLIANCE, les communicants du prêt-à-porter ravaudent l’image des marques, mais les ouvrières et leurs syndicats n’y trouvent pas leur compte.

Le Bangladesh est le deuxième producteur mondial de prêt-à-porter (après la Chine), quelque 5.000 entreprises y fabriquent des vêtements pour l’exportation et emploient plus de quatre millions de salariés (très majoritairement des femmes). Le secteur de la confection compte pour 80 % des exportations du pays et constitue le moteur principal d’une économie qui, au cours de la dernière décennie, a enregistré une croissance annuelle moyenne supérieure à 6 %.

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Dhaka, district de Savar. Monument aux victimes de la catastrophe du Rana Plaza.

Le 24 avril 2013, dans le district de Savar, une banlieue ouvrière au nord de Dhaka, un immeuble du complexe Rana Plaza abritant plusieurs entreprises de confection s’effondre. Bilan : 1047 morts. Sous les décombres, parmi les corps et les gravats, on retrouve les logos, destinés à être cousus sur les vêtements, de plusieurs marques du prêt-à-porter et enseignes de la grande distribution. Y’en a (Auchan) qui nient, qui jurent les grands dieux qu’on savait pas, qu’on a été trompé, qu’on est pas responsables, qu’on, qu’on… Ah, les qu’on ! Mais quoi qu’on en dise, moins d’un an après les 117 morts dans l’incendie de l’usine Tazreen Fashion, ça fait désordre et l’image de marque des marques en prend un coup. Rififi dans le prêt-à-porter. « Faut qu’on s’démarque », dit-on aux briefings des DepComs (Département Communication).

Les donneurs d’ordres du vieux continent sont les premiers à réagir – les premiers ? façon de parler : ça fait des années que des organisations syndicales, des ONG comme le Collectif de l’éthique sur l’étiquette ou des associations de défense des droits humains ont tiré la sonnette d’alarme et dénoncé les conditions de travail déplorables dans le secteur de la confection au Bangladesh (et ailleurs)… mais bref, mieux vaut tard que jamais. Et donc, le 15 mai 2013, soixante-dix marques européennes (H&M, Inditex, Aldi, C&A…) signent le programme ACCORD (Accord on Fire and Building Safety). D’une durée de cinq ans, il impose aux entreprises en contrat avec les marques signataires (plus de 200 aujourd’hui) de mettre en œuvre les mesures visant à améliorer la sécurité et les conditions de travail qui seront préconisées par les inspections prévues dans le programme. Élaboré en concertation avec IndustriALL Global Union (cosignataire du programme) et Clean Clothes Campaign, ACCORD est contraignant pour les marques, qui s’engagent à rompre les contrats passés avec des entreprises qui refuseraient de se mettre aux normes.

Outre-Atlantique, les géants Wallmart et Gap, sollicités par H&M, refusent d’intégrer ACCORD et, quelques mois plus tard, lancent ALLIANCE (Alliance for Bangladesh Worker Safety), une initiative concoctée maison en l’absence des organisations syndicales, beaucoup plus floue et non contraignante pour les 27 marques aujourd’hui signataires qui se contentent de formuler des recommandations.

Le gouvernement du Bangladesh, pour sa part, décide une augmentation substantielle du salaire minimum qui passe de 37 à 67 dollars mensuels, recrute 200 inspecteurs du travail supplémentaires, s’engage à collaborer avec l’Organisation Internationale du Travail pour rendre effective l’application des conventions internationales dont le pays et signataire, adopte certaines mesures facilitant l’enregistrement des sections syndicales d’entreprise et, le 31 août 2015, vote le Textiles Industry Establishment Act, un texte de loi visant à mieux codifier les conditions d’ouverture des usines de confection.

La Bangladesh Garment Manufacturers & Exporters Association (BGMEA), enfin, se déclare prête à collaborer pleinement à ces initiatives, et l’organisation patronale promet que 0,03 % des revenus de l’exportation seront consacrés à l’amélioration des conditions de travail et de sécurité dans les entreprises.

Battez tambours, sonnez clairons ! Fin 2015, 3660 entreprises ont été inspectées – 37 fermées pour n’avoir pas effectué les transformations recommandées – et 337 nouvelles sections syndicales ont été enregistrées par le ministère du travail.

C’est toujours bon à prendre, reconnaissent à l’unisson Nazma Ahkter, présidente de la Sommilito Garments Sramik Federation (SGSF), et Amirul Haque Amin, président de la National Garment Workers Federation (NGWF), mais…

MAIS le recours aux entreprises sous-traitantes, qui fonctionnent hors de tout contrôle, est loin d’avoir été éliminé et les conditions de sécurité demeurent préoccupantes dans de nombreuses entreprises.
MAIS le salaire minimum légal est encore très inférieur au salaire minimum vital.
MAIS – c’est surtout là que le bât blesse – les entraves au droit des travailleurs à s’organiser et la chasse aux sorcières syndicales ne marquent pas de trêve.

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Dhaka, district d’Ashulia. Débrayage à l’entreprise Hanwen BD Ltd. pour protester contre le licenciement de 42 syndicalistes.

29 janvier 2016 : les ouvrières de la Bangladesh Progressive Garment Workers Federation manifestent pour réclamer un salaire minimum mensuel de 15.000 takas (environ 160 euros) – la BPGWF, est l’une des 52 fédérations qui existent dans le secteur de la confection où 5% environ des salariés sont syndiqués (« El pueblo desunido… »), comme la SGSF, la NGWF et une douzaine d’autres fédérations syndicales du prêt-à-porter, la BPGWF est affiliée à IndustriALL.

La veille, en conférence de presse, les représentants du BGMEA se sont dit déçus : ils espéraient que, pour soutenir l’effort consenti par les producteurs en vue d’améliorer les conditions de travail et de sécurité dans leurs entreprises, les commanditaires auraient à cœur d’augmenter les tarifs qu’ils imposent à leurs fournisseurs. Hélas, c’est l’inverse : entre janvier et octobre 2015, les prix offerts aux producteurs par les marques américaines et européennes ont chuté respectivement de 4,05 % et 0,8 %.

2 février 2016 : un incendie éclate dans les ateliers de Matrix Sweaters, une entreprise qui produit pour H&M et JC Penney. Cinq travailleurs sont hospitalisés. Le feu s’est déclaré à une heure matinale, alors que le bâtiment était presque désert, ce qui a sans doute évité que l’incident se solde par un bilan beaucoup plus lourd. Cinq jours plus tôt, un autre début d’incendie avait pu être maîtrisé. « La sécurité n’est pas encore suffisante dans la confection au Bangladesh », affirme IndustriALL.

Le même jour, les travailleurs de l’entreprise Hanwen BD Ltd débrayent pour protester contre le licenciement de 42 salariés, dont 7 dirigeants syndicaux. Hanwen BD Ltd. est une entreprise chinoise, installée à Ashulia, dans la banlieue nord de Dhaka. Elle emploie 350 salariés et produit, entre autres, pour la marque suédoise H&M. En octobre 2015, les travailleurs décident de constituer une section syndicale d’entreprise affiliée à la NGWF. Grosse colère de la direction qui tente, sans grand succès, de décourager les salariés de rejoindre le syndicat. Le 9 janvier 2016, elle passe à la manière forte et les sept dirigeants syndicaux sont éjectés manu militari de l’entreprise. Le lendemain, cependant, la demande d’enregistrement de la section syndicale est déposée auprès du ministère du travail. A quoi la direction réplique par 35 nouveaux licenciements. La lutte pour leur réintégration continue.

10 février 2016 : les ouvrières de Donglian Fashion, soutenues par la SGSF, obtiennent la réintégration de douze syndicalistes que la direction de l’entreprise avait contraint de démissionner.

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