Échoués là comme dans l’attente d’une hypothétique marée qui les remettra à flot, les bateaux dominent de leur masse métallique les fragiles cabanes, construites avec les moyens du bord, qui ont repoussé tout autour sans tenir aucun compte des avis « NO BUILD ZONE » (zone interdite à la construction) inscrits en grosses lettres rouges – le barangay Anibong est un quartier populaire et ses habitants n’ont pas d’autre endroit où aller.
Je note quelques grafiti sur les coques : « WE NEED RICE » en majuscules d’imprimerie blanches. « Typhon Yolanda survivors in Segunda family », soigneusement calligraphié à l’intérieur d’un cœur. « Interdiction de déposer des ordures ici » (en tagalog). « I’m single but not available » (Je suis célibataire mais pas disponible) me laisse dubitatif : qu’a voulu dire l’auteur ?
Deux des épaves sont en train d’être démantelées par une équipe de démolisseurs. Découpés au chalumeau, les cargos sont emportés morceau par morceau et revendus au poids. Une des coques a déjà été éventrée, autopsie post-mortem, on patauge dans les entrailles noires de mazout. Sur l’autre, le dépeçage est moins avancé, les ouvriers en sont encore à démonter les superstructures : passerelle, poste de pilotage, cabines, bastingage…
Un peu plus loin, deux autres bateaux venus de Legazpi et Cagayan de Oro sont échoués à quelques encablures du rivage. Sans doute sont-ils récupérables. Une équipe – son équipage ? – semble monter la garde, probablement pour éviter les pillages.
* Le barangay, correspond plus ou moins au quartier en zone urbaine et au hameau en zone rurale. C’est une entité administrative avec, à sa tête, un capitaine de barangay. J’utilise, sans règle bien définie, le terme tagalog – il contribue à la musique du texte – ou son équivalent français.