Delphine Kangbeni était déléguée syndicale dans l’entreprise Sprukfield, une société de la zone franche de Lomé qui fabrique des médicaments génériques. Elle raconte la longue grève qui lui a coûté son emploi…
Le 9 novembre 2010, sept jours après le dépôt du préavis réglementaire, 120 des 132 travailleurs de l’entreprise Sprufield se mettent en grève pour réclamer de meilleures conditions de travail.
Le SYNATRAZOFT, premier syndicat de la zone franche, est créé en 2009.
L’année suivante, un texte officiel vient combler un vide juridique en reconnaissant que le code du travail togolais s’applique bien dans les entreprises de la zone franche.
En 2012, les organisations syndicales de la zone franche, soutenues par l’ONG Solidarité et action pour un développement durable (SADD), ont négocié avec la SAZOF (Société d’administration des zones franches), une convention collective sectorielle, qui est entrée en vigueur début 2013.
Il s’agit d’acquis importants dont les travailleurs de peu de zones franches dans le monde peuvent se targuer.
Le cas de Sprukfield témoigne cependant de la difficulté à passer des textes de loi à leur application par les entreprises.
Ils dénoncent l’absence de contrat de travail, de congé annuel et de congé de maternité, les salaires réglés de la main à la main et sans fiche de paie, les heures supplémentaires non payées (souvent plus de 20 heures/semaine), la non affiliation de 98% des salariés à la sécurité sociale, les conditions de travail insalubres et dangereuses, la non reconnaissance des délégués du personnel.
Dans les semaines qui suivent le début de la grève, plusieurs tentatives de négociations sont mises en échec par l’intransigeance et les manœuvres de la direction de Sprukfield, qui tente de faire signer aux grévistes un document dans lequel ils reconnaissent que leur action est illégale et porte préjudice aux intérêts de la société.
Le 5 décembre 2010, alors que l’entreprise a, en violation du code du travail, embauché de nouveaux ouvriers, les 120 grévistes sont licenciés – la direction de la SAZOF (Société d’administration des zones franches) autorisant pour sa part le licenciement de 3 délégués syndicaux (dont Delphine).
La forte mobilisation des syndicats togolais et le soutien apporté aux travailleurs de Sprukfield par des ONG internationales et des organisations syndicales – en France la CGT, en Belgique la CSC – amènent le gouvernement togolais à peser en faveur d’une issue négociée au conflit.
Le 27 mai 2011, la direction de Sprukfield accepte de signer un accord prévoyant la réintégration des grévistes. Il ne sera pas respecté. Aujourd’hui, 11 salariés seulement ont été réintégrés, les autres continuent de réclamer (au moins) le paiement de leurs indemnités de licenciement.
A plusieurs reprises au cours du conflit, Kayandal Varindani, le directeur indien de Sprukfield, a déclaré aux ouvrières : « La justice et les forces de l’ordre m’obéissent parce que je donne à manger aux membres du gouvernement ». Des déclarations, faites parfois en public, mais qui n’ont, semble-t-il, provoqué aucun commentaire ni démenti officiel ! Au contraire, début mai 2012, le ministre de la santé, Charles Kondi Agba, annonçait que Sprukfield allait devenir le fournisseur officiel de l’organisme public Cameg (Centrale d’Achat des Médicaments Essentiels et Générique).