Début 2019, en visite à Bruxelles, des représentants du gouvernement philippin demandent à l’UE de cesser de financer des ONG qu’ils accusent d’être le « front légal » de l’insurrection communiste. Quelles sont les organisations incriminées ? Quels sont les griefs qui leur sont faits ? Quels sont (et que valent) les arguments avancés à l’appui de ces accusations ? Quelles peuvent être, pour les personnes concernées, les conséquences de ce genre de marquage au rouge ? Éléments de réponses…
Si la visite de la délégation philippine à Bruxelles n’a pas fait les gros titres de la presse européenne – je n’arrive pas à en trouver la moindre trace en ligne, pas plus que sur le site de l’UE –, les déclarations du général Antonio Parlade Jr, commandant en chef des opérations militaires de Forces Armées Philippines qui participait au voyage, ont en revanche été largement relayées par les médias de l’archipel : une trentaine d’organisations, prétend l’officier philippin, détourneraient des fonds, attribués par la Belgique et quelques autres pays de la communauté européenne (via des ONG internationales) dans le cadre de programmes de lutte contre la pauvreté, pour financer les activités « terroristes » du Parti Communiste des Philippines (CPP) et de son bras armé, la Nouvelle Armée du Peuple (NPA). Et de pointer RMP (Rural Missonaries of the Philippines), ALCAEDEV (Alternative Learning Center for Agricultural and Livelihood Development), Karapatan, Kilusang Mayo Uno et Ibon Foundation (pour m’en tenir aux noms relevés dans la presse).
De qui parle-t-on ?
– RMP (Rural Missonaries of the Philippines). Fondée en 1969, RMP rassemble des prêtres, nones et pasteurs chrétiens investis dans le soutien aux communautés rurales et indigènes pauvres (excusez le pléonasme) à travers l’éducation, le plaidoyer, la conscientisation et la formation de dirigeants communautaires [1]. Ces dernières années, RMP a notamment signalés les dégâts socio-environnementaux de l’exploitation minière industrielle ; dénoncé les exactions de l’armée et de ses affidés paramilitaires ; pris position en faveur d’une paix négociée entre le gouvernement et l’insurrection communiste ; défendu les écoles indigènes.
ALCAEDEV (Alternative Learning Center for Agricultural and Livelihood Development) est une organisation de la société civile œuvrant, en lien avec des groupes religieux, à la promotion d’écoles indigènes dans l’île de Mindanao. De même que SOS (Save Our Schools Network) – également dans le collimateur des militaires – ALCAEDEV tente par son action de palier aux carences de l’état en matière d’éducation – état dont la présence, dans nombre de communautés rurales, se résume le plus souvent aux incursions de l’armée. Les maîtres qui interviennent dans ces écoles indigènes, généralement de jeunes universitaires eux-mêmes issus de communautés rurales, font preuve d’une abnégation remarquable et acceptent, pour des défraiements symboliques, de partager la vie des habitants des hameaux où ils enseignent. Loin de valoriser leur dévouement, les autorités centrales y voient une menace, l’armée accuse les écoles indigènes d’être des centres de propagande communiste, les instituteurs – et pour faire bonne mesure, leurs élèves et les parents de leurs élèves – sont harcelés, parfois emprisonnés, des habitations incendiées, des villages bombardés… contraignant des centaines de familles à l’exode.
Mai 2015, Davao, dans l’île de Mindanao. Plusieurs centaines d’indigènes (lumads) ayant fuit les communautés de Talaingod sont réfugiés sur le campus de l’UCCP (United Church of Christ in the Philippines). Parmi eux (2ème en partant de la gauche sur la photo), Datu Kaylo Bontulan, dirigeant de la Pasaka Lumad Confederation, ardent défenseur des écoles indigènes, tué le 7 avril 2019 lors du bombardement du hameau de Kitaotao, province de Bukindon.
Mai 2015, Davao, dans l’île de Mindanao. Plusieurs centaines d’indigènes (lumads) ayant fuit les communautés de Talaingod sont réfugiés sur le campus de l’UCCP (United Church of Christ in the Philippines) où des insitutrices d’ALCAEDEV continuent d’assurer leur enseignement.
– Karapatan (Alliance pour la promotion des droits des peuples), est une organisation de défense des droits humains internationalement reconnue, à laquelle le Haut comité des droits humains des Nations Unies fait régulièrement référence. Coupables de dénoncer les dérives mortifères de la « guerre à la drogue » dont le président philippin a fait son cheval de bataille, mais aussi les exécutions extra-judiciaires de syndicalistes et de militants paysans, indigènes et écologistes. L’organisation elle-même n’est pas épargnée et continue de payer un lourd tribut de sang pour son combat en faveur de droits humains : il y a quelques jours, le 22 avril 2019, l’avocat Bernardino Patigas, 72 ans, membre de la North Negros Alliance for Human Rights Advocates, elle-même affiliée à Karapatan, est abattu de deux coups de revolver.
– Kilusang Mayo Uno (KMU) est la principale centrale syndicale des Philippines. Fondée en 1980, elle fédère plusieurs centaines d’unions régionales, locales et de sections d’entreprises. Ces dernières années, de nombreuses sections d’entreprises affiliées au KMU ont mené des luttes très dures contre la « contractualisation » – embauches massives en contrats précaires passés par l’intermédiaire d’agences de main d’œuvre. Le général Antonio Paralde Jr. voit dans ces mobilisations la main Parti communiste et de la Nouvelle armée du peuple qui orchestraient « une vaste coalition en vue de saboter l’économie et déstabiliser le système politique (… ils) utiliseraient pour cela les nombreuses organisations syndicales qu’ils ont infiltré ». Et il cite en exemple la grève (durement réprimée) des travailleurs de l’entreprise NutriAsia pour la titularisation des salariés « contractuels ».
– Ibon Foundation est un institut d’études socio-économiques qui mène une critique solidement argumentée des politiques néolibérales conduites par les gouvernements successifs. Depuis l’entrée de Duterte au palais présidentiel, Ibon a, entre autres, publié des rapports sur l’impact du programme « Build, build, build » (programme pharaonique de construction d’infrastructures), sur les conséquences pour les ménages défavorisées de la récente réforme du système de taxes (Tax Reform Acceleration and Inclusion, TRAIN), sur les dégâts prévisibles pour les petits agriculteurs de la levée des restrictions sur les importations de riz, sur les effets de la privatisation des transports et de la distribution de l’eau à Manille…
Les trois dernières organisations (Karapatan, KMU, Ibon) appartiennent à la mouvance de Bayan (Bagong Alyansang Makabayan, Nouvelle Alliance Patriotique, abrégé en Bayan dans le langage courant). Fondé le 1er mai 1985 en vue de mobiliser les secteurs populaires contre la dictature de Ferdinand Marcos, Bayan chapeaute aujourd’hui un vaste réseau d’organisations nationales ou locales particulièrement pugnaces, qui irrigue toutes les couches de la société philippine, des paysans aux scientifiques, des syndicalistes aux travailleurs d’outremer, en passant par les communautés indigènes, de pêcheurs et de pauvres urbains, les défenseurs des droits humains, les enseignants, les étudiants, les artistes, les journalistes, les juristes, les personnels de santé, les écologistes et j’en oublie.
L’histoire des Philippines, expliquent les textes fondateurs de Bayan, est une histoire de lutte de classes et, pour combattre la misère, il faut s’attaquer à ses racines néo-féodales et capitalistes. Le Parti communiste des Philippines ne dit pas autre chose. Mais, alors que celui-ci appelle à l’insurrection armée, c’est par des moyens d’actions pacifiques reconnus par la constitution et le droit international – grève, campagnes d’opinion, dénonciations, recours légaux, participation aux processus électoraux – que les organisations liées à Bayan luttent pour plus de justice sociale, une véritable réforme agraire, le respect des libertés syndicales ou l’arrêt des exécutions extrajudiciaires. Cela autorise-t-il à étiqueter « terroristes » les milliers de femmes et d’hommes engagés sous l’une ou l’autre des bannières de Bayan et voir en eux le « front légal » du CPP-NPA ? Et parce que des communautés paysannes ou indigènes cohabitent sur un même territoire avec la Nouvelle Armée du Peuple est-il légitime de les assimiler à des supplétifs de la guérilla ?
Manille 2018.
Un cas d’école
Situé aux confins de la municipalité de Davao, dans l’île de Mindanao, le district de Paquibato est formé d’une nébuleuse de hameaux éparpillés dans un relief tourmenté, couvert d’une végétation dense, parcouru de pistes, chemins, sentes, trouées, sentiers que piétons et chevaux sont souvent seuls à pouvoir emprunter et qui constituent l’un des maillons d’une sorte de « piste Ho Chi Minh » permettant aux guérilleros de la NPA de se déplacer au nez et à la barbe de l’armée. La population, exclusivement composée de communautés paysannes et indigènes, vit de l’agriculture et s’est opposée aux différents projets miniers (or) ou agro-industriels (palme africaine, banane) visant leur territoire. Projets que l’existence d’un bastion de la NPA dans le district a très certainement contribué à faire capoter.
Juin 2015 – Benigno Aquino III est encore président et Rodrigo Duterte alors maire de Davao – , la menace que représentait les compagnies minières et agro-industrielles étant (provisoirement) écartée, la militarisation des communautés est devenue la doléance première des paysans de Paquibato. C’est en tout cas ce qu’affirment les habitants du hameau de Quimotod à la mission d’observation qui leur rend visite.
La délégation est composée de représentants de Karapatan (défense des droits humains), du mouvement paysan KMP, de syndicalistes du KMU, d’enseignants de l’Alliance of Concerned Teachers et de promoteurs de santé de l’association Exodus for Peace & Justice (une organisation d’obédience catholique fondée par un prêtre italien).
Au cours des entretiens, les paysans de Quimotod racontent que les soldats « entrent dans les maisons sans demander l’autorisation, se servent, accrochent leur hamac n’importe où et restent là le temps qu’ils veulent » ; ils se plaignent du harcèlement dont ils sont victimes de la part de ceux-ci qui les accusent de complicité avec la guérilla, veulent obtenir d’eux des renseignements sur les déplacements des rebelles ou les contraindre à s’enrôler dans les CAFGUs (Citizen Armed Force Geographical Units, groupes paramilitaires) ; ils dénoncent la destruction de bananiers pour dégager un espace d’atterrissage pour les hélicoptères. Quand la question de la NPA vient sur la table, les paysans admettent que des guérilleros traversent parfois le village et demandent à l’occasion qu’on leur vende un porc ou un poulet… « qu’à l’inverse des militaires, ils paient sans faute », ajoutent-ils.
Aida Seisa, paysanne, mère de deux enfants et dirigeante de la section locale du KMP, fait partie de la délégation. Sur le chemin du retour, à l’issue des trois jours de visite, elle me fait part de l’angoisse qu’elle éprouve à rentrer chez elle : « je me sens menacée en permanence depuis que l’armée m’a étiqueté NPA ». Prémonition ? Le lendemain (14 juin), alors qu’elle passe la soirée en compagnie de son mari, une de ses filles et trois militants indigènes, sa maison est prise pour cible d’une opération du 69ème Bataillon d’Infanterie. Pas de sommation. Les soldats ouvrent le feu. Les trois dirigeants indigènes sont tués. Profitant de l’obscurité, Aida, son époux et sa fille (légèrement blessée), parviennent à s’enfuir. Les militaires prétendront avoir été prévenus qu’une réunion de la guérilla devait se tenir chez la dirigeante paysanne. Mais aucune arme ni douilles permettant de penser que les occupants de la maison auraient riposté ne sont retrouvées à l’intérieur, ni rien laissant supposer la présence de guérilleros dans la maison. Pendant plus d’une semaine, Aïda se cache dans la montagne, avant d’être prise en charge par la section locale de Karapatan et hébergée en un lieu gardé secret (voir : Entrevue avec Aïda Seisa). Aucun militaire ne sera inquiété pour le « massacre de Paquibato ».
Hameau de Quimotod (district de Paquibato, commune de Davao, île de Mindanao). Un paysan montre l’emplacement où des bananiers ont étés abattus pour faire place à une aire d’atterrissage pour les hélicoptères.
Hameau de Purok 7 (district de Paquibato, commune de Davao, île de Mindanao). Des dizaines d’impacts de balles d’armes automatiques sont relevés par les enquêteurs de Karapatan sur la façade de la maison d’Aïda Seisa.
Photo de gauche : District de Paquibato. Aïda Seisa durant la visite au hameau de Quimotod.
Photo de droite : Davao. Veillée funèbre du dirigeant indigène Ruben Enlog, l’une des trois victimes du massacre de Paquibato.
Des preuves ?
A en croire le général Antonio Paralde Jr, les représentants de l’UE auraient été « très surpris » d’apprendre l’existence de liens entre des ONG et l’insurrection communiste – heureusement que le général était là pour leur ouvrir les yeux ! – et Gilles de Kerchove, coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme, se serait engagé à étudier la question et aurait demandé à son interlocuteur de fournir des preuves étayant ses accusations [2]. Des preuves ? Le général Parlade affirme avoir dans ses dossiers les témoignages de guérilleros retournés – à peu près aussi fiable qu’en leur temps les conversions d’hérétiques soumis à la question. Et quoi d’autre ? Les portes-paroles de l’armée, du gouvernement, et le président lui-même, ne ratent pas une occasion de se répandre en accusations fracassantes concernant les organisations du « front légal » du CPP-NPA, accusations largement reprises par la presse locale. Sans remonter bien loin ni prétendre épuiser le sujet, voyons un peu ce que ça donne.
– 23 février 2018 : le président Duterte déclare vouloir « offrir aux indigènes une prime de 20.000 pesos (environ 350 euros) pour chaque guérillero abattu (… l’offre) vaut pour tous ceux qui tueront des rouges (collecteurs de taxes, femmes et auxiliaires médicaux inclus). 50.000 pesos pour un chef, 25.000 pesos pour les autres. Pas de question. Vous ramenez la tête – mettez-la dans de la glace – et vous touchez l’argent » (Manila Bulletin du 24/02/2018) : ça c’est du concret, de la preuve saignante ! Le général Parlade prévoit-il de venir déposer une glacière contenant les scalps de guérilleros et assimilés sur le bureau de Gilles de Kerchove ?
– 8 mars 2019 : le gouvernement philippin rend publique une liste de quelque 640 personnes qualifiées de « terroristes ». Parmi celles-ci, à côté de nombreux dirigeants paysans et indigènes, plusieurs prêtres, un ex-député et sénateur de gauche et… Victoria Tauli-Corpuz, représentante des Nations Unies pour les questions indigènes à Mindanao ! Tollé international. Un an plus tard, le 3 janvier 2019, plus de 600 noms sont rayés de la liste suite à une décision de justice qui estime sans fondement leur inscription sur celle-ci.
– 23 septembre 2018 : à la veille des rassemblements commémorant l’instauration de la Loi Martiale par Ferdinand Marcos (25/09/1972), le président « révèle » l’existence d’un complot visant rien moins qu’à l’assassiner et renverser son gouvernement. Bientôt baptisé « Octobre Rouge », le présumé complot fait les choux gras de la presse nationale et, en guise de preuve contondante, un porte-parole de l’armée agite sous l’œil des caméras un dossier barré de la mention « SECRET »… dont le contenu gardera son mystère. A cette occasion, le général Carlito Galvez Jr., alors commandant en chef des forces armées, explique au quotidien l’Inquirer : « Nous sommes victorieux sur le terrain militaire (sic), mais pas chez les parlementaires que le CPP-NPA utilise pour infiltrer les agences gouvernementales ». Aussi suggère-t-il de « créer une force d’intervention pour chapeauter l’action des différentes agences gouvernementales ». Et déclare dans la même entrevue : « nous devons stopper le recrutement (du CPP-NPA), et le recrutement vient des écoles et du militantisme étudiant ».
– 4 octobre 2018 : surfant sur la vague « Octobre rouge », l’armée divulgue une liste de dix-huit universités décrites comme des terrains de recrutement des communistes. La présence sur cette liste, aux côtés des élitistes De la Salle University (jésuites) et Santo Tomas University, d’un certain Caloocan City College, qui n’existe que dans l’imagination fertile des communicants de l’état major, ne plaide guère en faveur du sérieux de l’accusation. Mais cette fois, pourtant, ils (les militaires) tiennent leur preuve, irréfutable : dans certaines cinémathèques universitaires ont été programmés des films relatant les années noires de la dictature de Ferdinand Marcos. Une allusion implicite au régime Duterte : si ce n’est du « lavage de cerveau » ça, répète à qui veut l’entendre le prolixe général Parlade.
– 3 mars 2019 : le général Oscar Albayalde, chef de la police nationale, s’en prend aux enseignants de l’Alliance of Concerned Teachers et aux juristes de la National Union of People Lawyers – deux organisations qui se situent dans la mouvance de Bayan et la gauche radicale –, menaçant de leur retirer leur licence s’il s’avèrent que, directement ou indirectement, ils soutiennent la rébellion. Comment se manifeste ce soutien ? Le policier ne précise pas. Probablement dans le contenu de cours jugés – mais par qui ? – tendancieux ou, pour les juristes, le fait de défendre des paysans spoliés de leurs terres ou des défenseurs des droits humains menacés de mort.
– 30 mars 2019 : des représentants de l’UE en visite à Manille reçoivent des mains de l’état major philippin un dossier supposé étayer la thèse d’un détournement d’aide humanitaire européenne au profit du CPP-NPA et déclarent que l’Europe réalisera un audit indépendant à l’issue duquel des poursuites légales pourraient être engagées si… MAIS seulement SI. Oui mais voilà, les délégués de l’UE le reconnaissent : « ils n’ont été incapables de vérifier les allégations » (du gouvernement philippin).
Deux mois après le massacre de Paquibato, les militaires, conduits par le général Carlito Galvez (qui se retourne pour parler à ses subordonnés sur la photo), font face à une commission d’enquête parlementaire. En dépit de témoignages accablants, aucun de sera inquiété. En janvier 2019, le général Galvez, désormais à la retraite, est devenu le nouveau conseiller présidentiel sur la question du processus de paix !!!
Label rouge
En s’attaquant aux symptômes pour traiter la maladie [3], en criminalisant l’opposition politique et la contestation sociale, le président Duterte n’innove pas et, dans ce domaine, il ne se distingue de ses prédécesseurs que par l’extrême brutalité du remède qu’il prétend imposer.
Dès sa prise de fonction (2016), il avait pourtant décrété un cessez-le-feu unilatéral et relancé les pourparlers de paix avec le CPP-NPA – pourparlers qui, de l’avis des deux groupes de négociateurs, avançaient de façon très satisfaisante et étaient sur le point d’accoucher d’accords intermédiaires déterminants. Las, début 2017, le président Duterte suspend les négociations avec la rébellion communiste, avant de les enterrer définitivement quelques mois plus tard (novembre 2018), au lendemain de sa rencontre avec Donald Trump, et d’inscrire le CPP-NPA sur sa liste d’organisations terroristes. Poursuite de la guerre à la drogue avec sa litanie de cadavres, reconduction de la loi martiale dans l’île de Mindanao, attaques contre la presse, la justice et l’opposition politique, rapports houleux du président Duterte avec les institutions internationales et notamment les Nations Unies, répression accrue visant les indigènes, les défenseurs des droits humains ou de l’environnement : l’année 2018 est marquée par une dégradation de la situation (déjà pas brillante) des droits humains aux Philippines. Et les premiers mois de 2019 ne laissent entrevoir aucune amélioration.
– 30 mars 2019 : le jour même où la délégation européenne quitte Manille avec dans ses bagages les « preuves » fournies par les généraux philippins, plus au sud dans l’île de Negros, 14 personnes sont abattues au cours de trois opérations de polices ciblant de présumés « communistes ». Selon Amnesty International : « la plupart des victimes ont été identifiées par leur famille ou des groupes locaux comme étant des paysans ou des dirigeants communautaires ».
– 22 avril 2019 : le quotidien Manila Times publie l’organigramme d’une présumée « conspiration » visant à préparer le reversement du régime et associant des médias indépendants (Rappler, Vera Files), le PCIJ (Philippine Center for Investigative Journalism) et la NUPL (National Union of People Lawyers, une association de juristes progressistes située dans la mouvance de Bayan). L’information aurait été transmise au palais présidentiel par des « internautes experts (…) sympathisants du président Duterte ».
Aussi invraisemblable et « fake » que soit cet organigramme, de telles publications ou le marquage au « rouge » d’individus et d’organisations de la société civile ont des répercussions dramatiques quand ils servent à désigner leurs cibles aux bras armés du président, assurés de l’impunité et qui prennent parfois ses déclarations au pied de la lettre : en février 2018, avec sa délicatesse coutumière, Rodrigo Duterte, avait donné pour consigne à ses soldats : « Ne tuez pas les femmes de la NPA, contentez-vous de leur tirer dans le vagin, elles ne serviront plus à rien ». Il y a deux semaines, le 15 avril dernier, Cindy Tirado, guérillera de la NPA était tuée lors d’une opération du 71ème Bataillon d’infanterie dans la région de Davao del Norte. Selon sa mère, le corps de la jeune femme présentait des impacts dans les organes génitaux.
Ce n’est donc pas sans raison qu’un consortium de sept ONG allemandes – Amnesty International-Germany, Bread for the World, International Peace Observers Network, MISEREOR, Mission Munich, Asienhaus-Philippenbüro et United Evangelical Mission – impliquées depuis de nombreuses années dans des programmes de solidarité aux Philippines, a récemment écrit à Manille pour faire part de sa préoccupation sur les conséquences possibles des accusations de l’armée visant l’aide humanitaire européenne, de son inquiétude pour les défenseurs des droits humains, notamment les militants de Karapatan, et dénoncer les amalgames criminels auxquels se livre le pouvoir en place.
[1] Le 4 décembre 2017, le père Tito Paez, 72 ans, coordinateur régional de RMP pour la région de Central Luzon, est criblé de balles par des tueurs en moto : militaires ou paramilitaires, accusent les organisations de défense des droits humains.
[2] L’article publié dans le Manila Bulletin est le plus complet, il est signé Philippine News Agency et l’on peut supposer que le correspondant local de l’agence officielle a assisté à l’entretien. Son compte rendu donne à réfléchir, au point que l’on peut se demander si Parlade et De Kerchove parlent de la même chose. En effet : quand De Kerchove se dit préoccupé par les derniers attentat de Jolo (27 janvier 2019) et la résurgence de groupes islamiques radicaux contre lesquels l’Europe entend lutter, Parlade entretient son interlocuteur d’ONGs ayant des liens présumés avec la Nouvelle armée du peuple et le Parti communiste… qui n’ont strictement rien à voir ni avec l’attentat à la bombe de Jolo ni avec les islamistes radicaux. Etonnant !
[3] « Un Philippin sur cinq vit avec moins de deux dollars par jour », relève le magazine Challenge – qu’on ne peut qualifier de repaire de gauchiste. Et l’hebdomadaire économique cite le président de l’Institut philippin de recherches sur la paix, la violence et le terrorisme, Rommel Banlaoi, qui considère que cette situation crée, pour le CPP-NPA, « un environnement favorable » et ajoute : « les causes qui ont présidé à sa création (du CPP-NPA) il y a 50 ans, le fonctionnement féodal, la capitalisme bureaucratique et l’impérialisme, existent toujours ».