Barangay Bula, Zone 6 (General Santos City). Une communauté de pêcheurs artisanaux. Cent-trente familles, environ, installées à l’ombre des manguiers et des cocotiers. A marée haute, les habitations du front de mer ont les pieds dans l’eau.
A marée basse on collecte les concombres de mer, on tend des filets à mailles très fines contre lesquels, quand la mer monte, se concentrent de minuscules alevins de chano – bangus dans l’idiome local -, qu’il faut encore capturer à l’épuisette puis isoler dans une bassine – l’opération me fait penser aux orpailleurs lavant leur poudre d’or –, avant d’aller les revendre aux fermes aquacoles.
On pêche à la ligne et au harpon dans la journée.
On part à trois heures du matin, quand il fait encore nuit, tirer des filets pas très loin dans la baie.
On chasse les crabes dans la mangrove.
Avec le lait fermenté des noix de coco on fait le tuba – vin de coco –, dont les équipages philippins embarqués sur les galions de la ligne Manille-Acapulco ont, au XVIIème siècle, exporté la recette au Mexique.
Et depuis quelques années, on cultive le guso, une algue rouge, en cages flottantes.
Préparation du filet et collecte des larves de chano (3 photos du haut).
Les algues rouges sont vertes, en surface ou dans l’assiette.
Je les ai vues de mes yeux vues.
Et goûtées – c’est frais, consistance agréable, légèrement craquante, saveur à peine iodée, pas mauvais en salade parsemée de mangue verte et d’oignon émincés.
Les Dalton, pas plus Joe que Jack, William ou Averell, ne sont pour rien dans ce phénomène.
Tout est affaire de longueur d’onde de la lumière.
Et de profondeur.
A quelques mètres sous le niveau de la mer, l’algue accumule une grande quantité de phycoérythrine [1], pigment qui absorbe la lumière à cette profondeur et donne à l’algue sa couleur rouge. En surface, au contraire, la chlorophylle reprend le dessus et l’algue une belle couleur verte.
Les boutures de guso sont nouées sur une cordelette de nylon (photo du haut). Entretient de la « plantation » de guso (2 photos de gauche). Récolte du guso (photo en haut à droite). Culture, en pleine eau, d’une seconde variété d’algue qui ressemble beaucoup à la première (photo du bas à droite). Récolte achevée (photo du bas).
La culture du guso – eucheuma sp comme on dit en latin – par les pêcheurs de la Zone 6 n’est pas une activité traditionnelle. Elle a été encouragée par le BFAR (Bureau of Fisheries and Aquatic Ressources) qui, depuis quelques années, fournit le matériel de départ aux candidats à l’algoculture.
Le guso se cultive dans des cages parallélépipédiques, fermés sur cinq côtés par des filets à larges mailles, eux-mêmes fixés aux tubes de PVC qui constituent les montants et contribuent à la flottabilité de la structure.
Les boutures d’algues sont nouées à intervalles réguliers le long de cordelettes de nylon tendues entre les montants de PVC.
Les cages sont ancrées de préférence sur des fonds sableux, à l’abri des vagues trop fortes – la baie de Sarangani est relativement épargnée par les typhons dévastateurs.
Il s’écoule environ quarante jours entre la mise à l’eau des nouveaux plans et leur récolte.
Durant leur croissance, les algues doivent être nettoyées de la vase et autres détritus qui s’accrochent à leurs thalles.
L’algoculture fournit un revenu d’appoint à la plupart des familles de pêcheurs de la Zone 6.
Des middlemen (intermédiaires), qui sillonnent les communautés de pêcheurs de la baie de Sarangani, assurent la commercialisation des algues.
Les algoculteurs modulent les dates des récoltes en fonction de leurs visites.
Pour éviter le pillage nocturne de leurs plantations, des habitants de la Zone 6 ont construit un radeau, doté d’un auvent, de hamacs et baptisé « maison flottante », sur lequel ils dorment à tout de rôle.
Retour de la pêche au petit matin (3 photos du haut) et paysages de la Zone 6 (3 photos du bas).
La Chine est de loin le premier producteur mondial d’algues (10 millions de tonnes/an).
Les Philippines se classent au troisième rang, derrière l’Indonésie, avec une production qui avoisine les 1,6 million de tonnes/an.
France : 35 tonnes en 2010.
Les 3/4 des algues cultivées en Asie sont destinées à la consommation directe.
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Les propriétés gélifiantes du carraghénane, un polysaccharide extrait d’algues rouges, sont utilisées dans l’industrie alimentaire – regardez sur l’étiquette : c’est le code E407 – et bien plus largement.
On en trouve dans des glaces, des crèmes, des desserts, du lait concentré et au chocolat, des sauces, des bières (pour clarifier et enlever l’écume formée par les protéines), des pâtés et viandes industriels, des sodas (pour améliorer la texture et maintenir les exhausteurs de goût en suspension), du lait de soja (comme gélifiant et pour simuler la consistance du lait entier). Dans l’alimentation pour animaux. Dans des dentifrices, des extincteurs (pour augmenter la viscosité et rendre la mousse plus collante), des shampooings et des crèmes cosmétiques, des gels désodorisants, des cirages pour chaussures, des lubrifiants, des produits pharmaceutiques (utilisé comme excipient inactif de pilules et tablettes)…
[1] Si l’on veut faire bref, m’explique Wiki, pédant : « la phycoérythrine est une phycobiliprotéine ». Et si l’on veut aller plus loin, développer : « c’est un hétéro-pigment constitué d’une apoprotéine et d’un chromophore. L’apoprotéine comporte deux sous-unités : l’α-phycoérythrine et la ß-phycoérythrine. Les chromophores sont la phycoérythrobiline (PEB) et la phycourobiline (PUB), liés par covalence au peptide »… Ce qui, personnellement, ne m’avance guère mais je présume que les biochimistes et autres espèces assimilées comprendront.