Indonésie 2015

Indonésie

Cabotage (5) Batam

Deux îles de l’archipel de Riau concentrent l’essentiel des investissements du SIJORI Growth Triangle : Batam et ses parcs industriels, Bintan et ses 23.000 hectares de complexes touristiques à clientèle majoritairement singapourienne. L’archipel est en outre connu pour être un repaire de flibustiers.

I – LE TROISIÈME SOMMET DU TRIANGLE

Batam. Troisième sommet du « Triangle de la croissance ». Une situation géographique privilégiée, à la croisée des routes commerciales connectant l’Asie, l’Australie, l’Europe et le Moyen Orient, proche de Singapour mais avec des coût de main d’œuvre très inférieurs. Zone économique spéciale depuis 2007. Cinq parcs industriels emploient quelques 300.000 salariés (2/3 de femmes). Nombreuses entreprises d’assemblage de composants électroniques (Sanyo, Panasonic, Siemens, Sony, Toshiba, Epson). Chantiers navals (150 entreprises, souvent délocalisées de Singapour pour échapper à une législation contraignante en matière environnementale). La moitié des exportations de la Zone économique spéciale sont à destination de Singapour, qui représente 70 % des investissements étrangers directs.

Batam. Plus rien d’une île paradisiaque. Population passée de quelques dizaines de milliers à plus d’un million d’habitants en l’espace de deux décennies. Avant : des communautés de pêcheurs, contrebandiers à l’occasion. Une forêt de mangrove. Maintenant : une population majoritairement urbaine, d’immigration récente, en constant renouvellement. Salariés, travailleurs du secteur informel, prostitution florissante. Coût de la vie plus élevé que dans le reste du pays. Les demandes des entreprises font grimper les prix de l’immobilier. Loyers en conséquence. 40.000 familles de squatters (estimation 2004). En mai 2014 affrontements entre police et squatters du sous-district de Lubuk Baja. Importante pollution marine (chantiers navals, déchets industriels, trafic maritime dans le détroit de Singapour). Et l’économie n’est pas au beau fixe. Carnets de commande des chantiers navals presque vides. Nombreux licenciements. Délinquance en augmentation. Les investisseurs se plaignent : des incertitudes et incohérences dans l’application des paquets de mesures incitatives, des fréquentes revendications salariales. L’an dernier, 17 compagnies coréennes ont quitté Batam pour se réinstaller ailleurs. Implantées à Batam depuis le début des années 2000, les organisations syndicales sont combatives. 1/3 des entreprises ont une section syndicale. Environ 20.000 affiliés à la FSPMI (Fédération indonésienne des syndicats de la métallurgie – membre d’IndustriALL Global Union), 50.000 pour l’ensemble des différentes fédérations syndicales. Principales revendications : les salaires (en 2013, le salaire minimum relevé de 145 à 210 dollars/mois), non à la précarisation de l’emploi par le recours aux agences de main-d’œuvre (en 2011, une loi a été adopté qui limite celle-ci à certaines professions : chauffeurs, vigiles, personnel d’entretien), la sécurité au travail. Trois grandes grèves (victorieuses) en 2014. Et, cette année, celle des ouvriers de Philipps. Yoni Mulyo Widodo, secrétaire de la FSPMI Batam, raconte :

Début 2015, des ouvriers de PT. Philips Industries contactent la FSMPI. Dans l’atelier où les travailleurs manipulent du métal en fusion, les accidents sont fréquents. Ils veulent monter un syndicat. Nous entamons la procédure auprès du ministère du travail. Quand la chose arrive aux oreille de la direction de Philipps, c’est le grand remue-ménage. La compagnie essaie de convaincre les salariés de ne pas adhérer, menace… plusieurs dizaines de travailleurs en contrat à durée déterminée, présumés sympathisant de la FSPMI, sont mis à pied jusqu’à la fin de leur contrat… qui ne sera évidemment pas renouvelé. Le 9 avril, le ministère du travail informe la direction de Philips Industries de l’enregistrement de la section syndicale d’entreprise. Le lendemain, les 83 membres de celle-ci sont convoqués, un à un, au bureau du personnel où ils sont contraints de signer une lettre de « résiliation d’emploi » avant d’être escortés vers la sortie par des vigiles. Dans les jours qui suivent le coup de force de la direction, la section syndicale enregistre 519 nouvelles adhésion, tandis que les tentatives de négociation menées à l’intiative de la FSPMI se heurtent à une fin de non recevoir. Six-cents ouvriers (sur les 1.600 que compte l’entreprise) décident alors de cesser le travail et installent leur piquet de grève devant les portes de l’usine. Un cordon de vigiles et de militaires de l’unité d’élite des Marines est aussitôt déployé autour des grévistes et leur campement encerclé par une clôture et des containers destinés cacher ce mauvais exemple. Le mouvement va durer près de deux mois, bien que les travailleurs en lutte, assiégés vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ne puissent ni sortir pour manifester, ni recevoir les délégations d’autres entreprises venues exprimer leur solidarité. Au plan international, le mouvement est soutenu par IndustriALL Global Union qui interpelle la direction allemande de la compagnie. Un accord est finalement trouvé, le 19 juin 2015 : les grévistes acceptent de reprendre le travail en échange du paiement de l’intégralité des salaires correspondants aux deux mois de grève, les syndicalistes mis à pied ne sont pas réintégrés, mais leur cas sera examiné par la justice et ils continueront de percevoir leur salaire jusqu’à la fin de la procédure.

II – DUR MÉTIER QUE CELUI DE PIRATE *

Pirate n’est pas un emploi de tout repos. Prenez ces cinq là, par exemple… Nous sommes le 21 août 2015. A la nuit tombée, ils prennent la mer à bord d’une longue embarcation à la proue effilé, équipée d’un ou deux gros moteurs hors-bord. Ils naviguent tous feux éteints, risquant à chaque instant d’être éperonnés par l’un des innombrables navires qui empruntent le détroit de Singapour, cet autoroute maritime dont le volume du trafic n’est surpassé que par celui de la Manche. Bien après minuit, ils repèrent enfin une victime potentielle : un pétrolier battant pavillon maltais. La manœuvre d’approche doit les amener à aborder le navire par la poupe, pour pouvoir lancer leurs grappins et se hisser à bord en essayant de ne pas se faire repérer – tout ça dans l’obscurité et à partir d’un esquif qui tangue et roule dangereusement dans le sillage du monstre de métal. Hélas ! A bord de l’Advantage Summer cette embarcation qui tente de passer inaperçue éveille les soupçons. Se voyant vus, les pirates n’insistent pas et s’éloignent derechef. Une heure plus tard, ils ont trouvé une nouvelle cible : le pétrolier Navig8 Stealth SV qui navigue, lui, sous pavillon des Îles Marshall. Cette fois, quatre membres de la bande parviennent à grimper à bord… mais ne vont pas très loin avant d’être repéré. Le commandant ayant actionné le signal d’alarme, les quatre flibustiers regagnent fissa l’embarcation où les attend le cinquième complice. Ils remettent ça une heure plus tard. Mais n’ont pas plus de chance avec le porte-container Maersk Lebu (immatriculé à Hong Kong). Repérés encore une fois alors qu’ils viennent juste de prendre pied sur le navire, ils décampent sans avoir rien pu emporter. Comme il commence à se faire tôt et que le jour ne va pas tarder à se lever, ils décident de regagner leurs pénates et mettent le cap sur… Peut être sur Belakang Padang, Seloko, Karimun ou quelque autre des dizaines d’îles de l’Archipel de Riau qui bordent le détroit de Singapour. Après un somme réparateur et un petit déjeuner invariablement composé de riz et de poisson, ils vaquent à leur occupations diurnes – il ne serait pas étonnant que l’un ou plusieurs d’entre eux exercent l’honnête profession de bateau-taxi ou de pêcheur. Et de nouveau, le soir venu, ils hissent le pavillon noir (façon de parler, bien sûr).

detroit de singapour_piratesNous sommes le 22 août 2015 et il est 23 heures 29 (c’est inscrit dans le journal de bord) quand l’équipage du Peace Bright, un vraquier panaméen, se rend compte que des individus suspects sont monté à bord sans y être invité. Alerte ! Bon, se disent les pirates, pas la peine d’insister, et ils filent. Ils maraudent encore une bonne partie de la nuit avant de croiser la route du porte-container Atout (lui aussi enregistré aux Îles Marshall). Mais ils n’ont décidément pas de chance – mille million de mille sabords ! – et le même scénario se répète une fois de plus. Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage… Le jour commence à poindre quand ils se hissent sur le château arrière du pétrolier Elbtank Elmark (pavillon du Liberia). Sous a menace de couteaux, ils réussissent (enfin) à maîtriser l’équipage avant que quelqu’un ait pu donner l’alerte, s’emparent d’un peu d’argent, de téléphones portables et autres babioles appartenant aux marins, et s’en vont. Il n’y aura pas de blessé et les pirates, leur longue nuit de boulot terminée, rentreront à terre en emportant leur maigre butin.

* Ce texte a été écris à partir des rapports du ReCAAP, il n’y a pas de certitude, mais de fortes présomptions, que les six attaques aient été perpétrées par le même groupe.

… à suivre

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