Un port, des ports, une mer grise, des containers, des camions, de la poussière, des chalutiers…
Un long rectangle de béton et d’asphalte, planté de grues, bordé de navires à quai : le terminal pour portes-containers du port Belawan est posé à l’embouchure de la Deli River sur une mer grise, brune ou vert sombre selon les heures et la météo (mais jamais bleue), maculée de nappes de mazout aux reflets irisés. Le terminal est flanqué, d’un côté, par le quai des cargos vraquiers et des ferries, de l’autre par le port de pêche. C’est là que je vais traîner mes guêtres.
En milieu de matinée, l’activité est réduite – les bateaux sortent généralement en fin d’après-midi, passent la nuit en mer et rentrent au petit matin. Des dizaines de chalutiers, pas très gros et passablement décrépis, sont amarrés le long du quai. Les bateaux spécialisés dans la pêche au calmar sont reconnaissables aux rampes de projecteurs et/ou de puissantes ampoules dont la lumière attire les céphalopodes. Des pêcheurs raccommodent des filets, d’autres chargent des pains glace. Je ne parle pas un mot d’indonésien et très peu de pêcheurs parlent (très mal) anglais. L’un d’eux quand même, ancien marin sur un cargo… Il m’explique que la plupart des patrons sont chinois (indonésiens d’origine chinoise) et me dit de me méfier, qu’il y a beaucoup de « criminels » dans le quartier, mais non, pas de pirates. Ah bon ?
26 juillet 2015, au large d’Aceh, à l’extrême nord de Sumatra, le Maju Jaya, un chalutier de 30 mètres de long, battant pavillon indonésien, est abordé par deux pirates armés de revolvers. Ils menacent l’équipage, s’emparent des papiers du bateau, du matériel électronique de navigation, des téléphones portables des marins et du carburant puis prennent la fuite. L’agression sera rapportée aux autorités. Ce n’est pas toujours le cas. Pour plusieurs raisons : 1) Les victimes considèrent qu’une dénonciation ne changera plus rien à l’affaire. 2) Les victimes craignent les représailles de leurs agresseurs. 3) Les victimes sont elles-mêmes en situation irrégulière.
Des centaines de chalutiers malaisiens, thaïlandais et birmans viennent, quotidiennement et en toute illégalité, pêcher dans les eaux indonésiennes, réputées poissonneuses. En cas d’interception par un garde-côte, le navire est saisi et l’équipage risque la prison… à moins de régler en espèces sonnantes et trébuchantes une « amende » qui ne sera jamais reversée au trésor public. Prévoyants, les commandants de ces bateaux-braconniers emportent donc, lors de leurs expéditions, une certaine somme d’argent liquide. Les pirates, presque toujours indonésiens, le savent et n’ont pas à redouter que leurs victimes portent plainte.
Charger, décharger, emporter, enlever, embarquer, transporter, transborder, arrimer, saisir, soulever, empiler, déplacer, tirer, tracter des containers de navires à quai vers des camions ad oc, de l’intérieur de l’île vers les docks… En ville, le flux des semi-remorques est ininterrompu, leur vacarme assourdissant et l’on mijote dans leurs gaz d’échappement et les nuages de poussière qu’ils soulèvent nuit et jour. Belawan n’est pas une villégiature de rêve, je ne m’y éterniserai pas.
… à suivre