Parti photographier du sable – celui qui a servi a combler le lac Boeung Kak – je suis tombé sur une famille pêchant de minuscules poissons-chat dans une mare boueuse.
Entre 15 et 20.000 m3 de sable – du sable pris sur les berges ou dans le lit du Mékong et du Tonlé Sap – sont absorbés chaque jour, à Phnom Penh, par un secteur de la construction en plein boum – au Cambodge, les investissements dans l’immobilier sont passés de 840 millions de dollars en 2010 à 2,7 milliards de dollars en 2013.
Une route droite, bitumée, sans ombre, bordée d’un côté par un monticule de sable, de l’autre par une palissade de tôle délimitant un vaste espace sableux, plat, vide. Ici ou là, quelques mares affleurent encore, vestiges aqueux de ce qui fût le lac Boeung Kak.
Colonisé par les jacinthes d’eau, encerclé de quartiers plutôt mal famés qui débordaient la berge pour aller planter leurs pilotis dans la vase jamais très loin sous la surface, cette étendue d’eau douteuse n’était certes pas un lac trois étoiles recommandé par les guides touristiques, plutôt une zone humide – le niveau montait à la saison des pluies (les poissons s’y reproduisaient) puis baissait à la saison sèche (le travail des pêcheurs s’en trouvait facilité) – qui constituait la principale réserve d’eau au nord de la capitale.
Mais en 2007, la municipalité de Phnom Penh concède les terrains du lac Boeung Kak à la société Shukaku Inc pour la mise en œuvre d’un méga projet immobilier. L’année suivante, des milliers de tonnes de sable déversées dans le lac et plus de 3000 familles expulsées. L’eau qui déborde inonde les habitations de ceux qui ont refusé de partir mais, loin de briser leur résistance, la radicalise. Aujourd’hui, le combat des habitants de Boeung Kak,emmené par des femmes, a fait tâche d’huile. Et, en dépit d’une répression qui a conduit nombre de militantes en prison, les luttes contre l’accaparement des terres et les expulsions de communautés urbaines ou paysannes cambodgiennes ont gagné une audience internationale et embarrassent sérieusement le pouvoir en place (voir : « Tout sauf des armes et autres histoires »).
Cet après-midi, une famille de ces irréductibles habitants de Boeung Kak pêche dans une mare, juste au bord de la route. Ni hameçon ni de filet, juste une écumoire en plastique et un seau, plongés au petit bonheur dans cinquante centimètres d’eau boueuse et qui ramènent, parfois, un ou deux minuscules poissons-chat : à faire frire ou sécher.
… à suivre