Indonésie 2015

Indonésie

Cabotage (9) Karimun Besar

Karimun Besar (Karimun la Grande) une de île de l’archipel de Riau, est à 37 kilomètres de Singapour, la ville Tanjung Balai (Port Balai) en occupe la pointe sud.

La rue Nusantara, à Tanjung Balai, cours parallèlement au front de mer. Des deux côtés, des commerces – sacs et valises (beaucoup), vêtements, parfums, téléphonie mobile, matériel informatique, montres et horloges, changeurs de devises, épiceries, matériel de pêche et de marine –, des restaurants, des hôtels. Entre les édifices du côté sud, de nombreuses et étroites venelles, parfois tellement resserrées qu’il faut s’y glisser de profil, se faufilent jusqu’à la mer, terminées par autant de pontons, digues, estacades, môles, jetées, embarcadères, tantôt de béton, mais le plus souvent de bois, auxquels sont amarrées toutes sortes d’embarcations, de la pirogue au chalutier.
L’un de ces passages m’a fait de l’œil dès le premier jour. Il s’ouvre entre l’hôtel Gabion, à gauche, et une cantine, à droite. Il est bordé, à gauche, par le mur aveugle de l’hôtel et ses quatre étages de béton brut, des tuyauteries, des câbles électriques, des modules externes de climatiseurs, à droite, par le mur aveugle d’une habitation en rez-de-chaussée qui fait suite à la cantine. Au bout d’une vingtaine de mètres, la dalle de béton cède le pas à un ponton de planches disjointes. La mer clapote dessous. A gauche, toujours le mur aveugle de l’hôtel Gabion, à droite une rangée d’habitations, murs de planches, toit de tôle, construites sur pilotis – trois font aussi office de cantine, un type, toujours accroupis devant sa porte, vend du poisson conservé dans des caisses de polystyrène, du linge sèche sur un fil de fer. Encore une quarantaine de mètres et le passage débouche sur un embarcadère – ou débarcadère selon l’usage qu’on en fait –, de planches lui aussi. C’est le point de départ de bateaux-taxi à destination des îles voisines de Parit et Tulang.
J’ai commencé par Parit, puis Tulang le surlendemain. Une demi-heure de navigation, environ, à chaque fois. A l’arrivée, une estacade de béton qui avance dans la mer, quelques habitations et une mosquée, des palétuviers épars à Parit, à Tulang une plage bordée de cocotiers et des pirogues tirées sur le sable.

« … ce sable qui m’apparaît à présent si éloigné des plages et des déserts du vivre »
Italo Calvino – Collection de sables

Singapour, de loin le plus gros importateur mondial de sable : 517 millions de tonnes au cours des vingt dernières années, selon des chiffres officiels qui ne représentent que la partie émergée de l’iceberg.

Singapour : une superficie de 581 km2 à la naissance du nouvel état (1965), de 674 km2 en 1998, de 719 km2 en 2014 et qui devrait allègrement dépasser les 800 km2 à l’orée de 2030 (voir carte ci-dessous, élaborée par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement).

UNEP / carte de l'expansion de SingapourUne expansion de plus de 20 % du territoire de la cité-état entièrement gagné sur la mer. Sachant que le remblaiement de chaque nouveau kilomètre carré aura nécessité, en moyenne, 37 millions de m3 de sable et gravier : je vous laisse faire le calcul… ça y est ? Bien. Le résultat est la quantité de sable marin, plus grossier, utilisé pour le comblement des avancées sur la mer. Il faut y ajouter le sable de rivière, plus fin et non salin, qui, mélangé au ciment, sert de matériau de construction.

Tout ce sable, Singapour, qui ne dispose d’aucune ressource naturelle, doit donc le prendre ailleurs. De préférence chez ses plus proches voisins. La Malaisie ayant, dès 1998, interdit l’exportation de sable, la cité-état se tourne vers l’Indonésie, qui ferme à son tour (officiellement) le robinet en 2002. Le Cambodge et le Vietnam sont alors sollicités mais finissent, eux aussi, par s’inquiéter des conséquences environnementales de la saignée et adopter des mesures restrictives (2009). Aujourd’hui, la Birmanie les Philippines et le Bangladesh offrent leurs services.

Avec une demande qui ne cesse d’augmenter et des marchés qui se ferment, les tarifs s’envolent : entre 1995 et 2001, le prix moyen de la tonne de sable tournait autour de trois dollars, il grimpe à 19 dollars en 2005. Les promoteurs immobiliers n’envisagent pourtant pas une seconde de renoncer aux fabuleux profits que permettent d’envisager les nouveaux terrains à construite gagnés sur la mer. Et quand les circuits d’approvisionnement licites grippent, la contrebande prend le relais – d’autant plus facilement que les autorités singapouriennes, qui font volontiers état de niveau de criminalité et de corruption quasiment inexistants, ferment les yeux sur les importations frauduleuses de sable : les gardes-côte n’interceptent jamais les barges qui passent pourtant quotidiennement et en toute illégalité la frontière maritime. Selon un environnementaliste de Jakarta, 300 millions de tonnes de sable indonésien seraient importés frauduleusement chaque année et une vingtaine d’île, notamment de l’archipel de Riau auraient été rayées de la carte ou seraient en passe de l’être. Du sable continue d’arriver illégalement à Singapour en provenance du Cambodge et du Vietnam et, en juin 2010, des journalistes du quotidien malaisien The Star ont suivi une filière de contrebande de sable extrait de la Johor River et convoyé par barges jusqu’à une quai de déchargement privé dans la petite île singapourienne de Punggol Timor – j’ai tapé « Punggol Timor Island, Singapour » puis zoomé : quelque chose qui ressemble fort à des tas de sable est visible sur l’image satellite de Google.

L’extraction de telles quantités de sable et la transformation du littoral singapourien sont lourdes conséquences environnementales.

  • La disparition de petites îles qui protègent les plus grandes contre tempêtes et tsunamis fragilisent ces dernières.
  • L’ensablement et la modification du littoral modifient les courants marins.
  • La mangrove, lieu de reproduction de nombreuses espèces marines, est affectée, ainsi que les récifs coralliens.
  • Selon une enquête de l’International Seabed Authority (instance des Nations Unies), les fines poussières issues de l’extraction du sable, appelées « débris », sont emportées par les courants marins, montent à la surface et peuvent voyager sur des distance de 37 à 55 kilomètres.

Quant aux pêcheurs de l’archipel de Riau, déjà laissés pour compte du « Triangle de la croissance », ils voient leurs prises se réduire comme peau de chagrin. Pourquoi, dès lors, ne se recycleraient-ils pas dans des activités autrement rémunératrices comme la contrebande ou la piraterie ? C’est la loi du marché, non ?

Donnant sur mon embarcadère favori : une cantine. J’y reviens jour après jour, commande un café, regarde. Il y a les permanents – le patron de la cantine (un vieux monsieur aux cheveux blancs, très digne), la fille qui vend les tickets, des conducteurs de bateaux-taxi, des portefaix – et les passagers en partance – petits commerçants venus s’approvisionner, fonctionnaires (enseignants, personnel de santé), quelques fois des marins qui attendent une embarcation pour les emmener vers un cargo ou un pétrolier mouillé au large. Ils arrivent, parfois accompagnés d’un porteur poussant une brouette, déposent leurs bagages, cartons, sachets plastiques, ballots et sacs de riz sur le ponton et s’asseyent sur le banc et les quelques chaises mis à leur disposition ou dans la cantine, en attendant l’embarquement. Ceux qui débarquent ne s’attardent généralement pas. Des îles, par les mêmes bateaux arrivent aussi des noix de coco et des ballots de palme.

… à suivre

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