Philippines 2015

Philippines

Carnet de reportage / Mindanao (12) Scène du crime

Plusieurs heures durant, les militants de Karapatan ont interrogé des témoins, relevé, mesuré, photographié les impacts de balles sur les murs de la maison et les douilles ramassées sur les lieux du « massacre de Paquibato »…

Une trentaine de balles ont transpercé les murs de planche de la maison d’Aïda Seisa, dirigeante régionale du KMP et secrétaire de l’Alliance des paysans du district de Paquibato. De l’emplacement des impacts et de l’endroit où sont retrouvées des douilles d’armes automatiques on peut déduire – première leçon de balistique sommaire, dirait Bobby Lapointe – que les soldats ont tiré depuis les buissons en contre-bas. A l’intérieur de la maison, aucune douille pour accréditer la thèse d’une riposte de la part des occupants, pas trace de sang sur le plancher, non plus.

L’opération a été menée par des éléments du 69ème bataillon d’infanterie, dans le nuit du samedi 14 au dimanche 15 juin*, alors qu’Aïda venait juste de rentrer d’une mission d’observation au hameau de Quimotod (voir : Carnet de reportage / Mindanao (9) Paquibato). La maison, isolée, est située au sommet d’une colline, dans le hameau de Purok 7 (district de Paquibato, commune de Davao). Ses voisins, tous assez éloignés, ont entendu la fusillade, mais ils ne savaient pas qu’Aïda était chez elle. Un témoin, présent cette nuit-là à l’intérieur de la maison, a cependant été interviewé par les enquêteurs de Karapatan. Sa version (qui m’a été résumée et commentée sur place par celui qui l’a recueillie) contredit celle de l’armée selon laquelle Ruben Enlog, Randy Carnasa et Garyo Quimbo ont été tués au cours d’un affrontement entre militaires et rebelles de la NPA (3 NPA rebels killed in clash with Army troops).

« Le témoin** dormait avec les autres quand ils (les militaires) ont ouvert le feu. Sommations ? Non, il n’y a pas eu de sommation, les soldats ont commencé à tirer tout de suite, sans prévenir. Le témoin s’est alors mis à l’abri sous la maison – celle-ci, bâtie sur pilotis, est légèrement surélevée. Aïda, son mari et ses filles (l’une d’elle était blessée) ont fait de même et ont pu s’enfuir en rampant sous le plancher. Le témoin est resté là, caché pendant plusieurs heures, jusqu’au départ des soldats qui avaient investi la maison. A ce moment-là, le témoin affirme que Ruben, Randy et Garyo étaient toujours vivants et qu’ils n’ont pas tenté de résister… Ils auraient donc été abattu après avoir été fait prisonnier ».

* Pas le dimanche 15 juin à midi, ainsi que je l’avais écris dans le précédent article.
** Pour des raisons de sécurité, son identité est, pour l’instant, gardée secrète.