Philippines

Carnet de reportage / Mindanao (3) Une île verte ?

De grands projets sont à l’étude pour le « développement » du front de mer de Davao, et les habitants des terrains convoités par les investisseurs encouragés à aller voir ailleurs.

Sur un plan de Davao trouvé sur Internet – sans doute pas tout récent -, Isla Verde est une bande de terre allongée, parallèle au boulevard Quezon. Elle en est séparée par un étroit bras de mer. Sur le dépliant acheté à la réception de l’hôtel, en revanche, plus trace d’île, verte ou de quelque autre couleur, mais la terre ferme : un espace quasiment vide de deux à huit cents mètres de large (estimation d’après l’échelle fournie avec plan) séparant le boulevard de la mer. L’image satellite fournie par Google Map et une visite sur les lieux infirment l’une et l’autre version : pas d’île mais pas un centimètre carré d’espace vide non plus. S’il fût sans doute un temps où, à marée haute, une portion du littoral couvert de mangrove devenait île, c’est un temps révolu. Aujourd’hui, le boulevard Quezon sert de ligne de démarcation entre le centre ville de Davao et des quartiers populaires qui s’étendent du môle de Santa Ana à l’embouchure de la Davao River. Plusieurs dizaines de milliers de familles (dont deux communautés d’indigènes Badjao). Baraques bricolées de bric et de broc. Pilotis, bambou, bâches, tôles ondulées. Dédales de ruelles, de passerelles instables. Ça prive la ville d’une promenade en bord de mer présentable et exaspère les promoteurs immobiliers en quête d’espaces à et où investir. Plus pour longtemps, peut-être.

Début mai 2015, Ivan Cortez, directeur du Davao Investment and Promotion Center, annonçait que deux projets de « développement » du front de mer concernant la zone susdite avaient été déposés par :
– Malaysian Mercury Group. Pour : construction d’une zone commerciale. Superficie : 76 hectares. Montant de l’investissement : 67 milliards de PHP (environ 340 millions d’euros).
– Mega Harbour (société à capitaux philippins). Pour : construction d’espaces commerciaux, zone résidentielle, infrastructures touristiques, port. Superficie : 200 hectares. Montant de l’investissement : 33 milliards de PHP (environ 150 millions d’euros).
Les populations résidant sur les terrains ciblés seront réinstallées ailleurs. De préférence loin du centre ville et des zones à fort potentiel économique. Pour les pêcheurs artisanaux et les communautés d’indigènes Badjao, la proximité de la mer est vitale. Pour les autres, en grande partie des familles à faible revenu survivant de petits boulots dans le secteur informel, une relocalisation signifie éloignement du centre ville et coûts de transport accrus. Beaucoup ne veulent pas partir.
Et alors ?
Le 4 avril 2014, plus d’un millier d’habitations du barangay (quartier) 23C partaient en fumée, privant de leur logis 3.500 familles. Une partie a, depuis, accepté la proposition de réinstallation de la mairie. Un an plus tard, presque jour pour jour (2 avril 2015), le feu éliminait encore 57 maisons, toujours dans le même quartier… ciblé par le projet Mega Harbour.
L’organisation Kadamay (mouvance gauche radicale), qui travaille à organiser les populations urbaines pauvres, constate que les quartiers populaires concernés par de grands projets immobiliers connaissent un taux bien plus élevé que les autres d’incendies « accidentels » et suggère qu’il ne s’agit peut-être pas d’un phénomène naturel.