Philippines 2015

Philippines

Carnet de reportage / Mindanao (5) Réfugiés

Un peu plus d’une centaine il y a deux semaines, ils sont aujourd’hui près de quatre cents indigènes manobos, hébergés sur le campus de l’UCCP Haran de Davao, et chaque jour amène son lot de nouveaux réfugiés fuyant leur village pour échapper aux harcèlement dont ils sont victimes de la part de l’armée et des groupes paramilitaires.

Melvin Bontolan. « J’ai 19 ans. J’habite sitio Natolinan, barangay Palmahil, commune de Talaingod. C’est un hameau très isolé. Pas de jeepney, il faut prendre une moto et ça coûte 300 PHP (environ 6 euros). On cultive du maïs, du riz, on élève des poulets, des porcs. Il y a quelques jours, les militaires se sont installé dans la communauté. Ils entraient dans les maisons, faisaient sortir les habitants, fouillaient partout à la recherche d’armes, accusaient les gens d’être des NPA (guérilleros). Ils disaient que la terre était à eux, que nous n’avions pas de titre de propriété. Ils se sont établi dans l’école. Un matin, ils nous attrapé, mon copain Sammy et moi. Ils nous ont interrogé, nous ont accusé d’être des NPA. Ils ont tabassé Sammy. Moi, j’ai réussi à filer. Après ça, on a décidé de quitter le village. On a pris une moto jusqu’à Talaingod. On voulait dénoncer ce qui s’était passé, mais la police a refusé d’enregistrer notre plainte. On a continué jusqu’à Kapalong, et de là on a pris un bus pour Davao ».

Iyay. « J’ai 31 ans. J’ai trois enfants. J’habite sitio Monkay, barangay Sagupitan, commune de Kapalong. Mon mari est un responsable du KMP (organisation paysanne), il a quitté le village en juillet dernier – il n’était pas en sécurité – et travaille à Davao. Les militaires m’ont interrogé à plusieurs reprises en demandant où se cachait mon mari. Ils sont particulièrement suspicieux avec les femmes seules. Ils pensent que notre mari est dans la montagne, avec la guérilla, Le mois dernier, j’ai quitté le village de nuit pour rejoindre mon mari, à Davao. Et y’a dix jours nous sommes venus ici, à l’UCCP Haran ».

Datu Doloman. « Je suis le Datu (leader) de Salugpungan, commune de Talaingod. Ce n’est pas la première fois que l’armée s’attaque aux lumads (indigènes). En 1994, nous avions mené une guerre avec des arcs et des flèches contre une compagnie forestière étrangère et beaucoup d’entre nous avaient été tués par les militaires. Quand la pression de l’armée augmente, on peut être sûr qu’il y a quelque chose derrière : des compagnies bananières qui veulent étendre leurs plantations ou des société minières qui en veulent à nos ressources minérales. L’an dernier (avril 2014) nous avions déjà abandonné dos villages pour nous réfugier à Davao. Un millier de familles. C’était aussi une façon de protester contre la militarisation des communautés. Nous avions passé un mois à l’UCCP Haran. Finalement, une rencontre avait été organisée avec le maire de Davao et les chefs de l’armée. Ils avaient accepté de retirer les soldats de nos villages et nous étions rentré chez nous. Mais le répit n’a pas duré longtemps ».

Un étudiant. « L’école a été fermée à cause de l’armée. C’est une école indigène, gérée par la communauté et financée par des ONG. Oui, le cursus est reconnu par le ministère de l’éducation. Mais les soldats disent qu’on y enseigne la propagande des NPA. Ils vont dans les familles et disent aux parents de ne pas envoyer leurs enfants à l’école ».

Un Datu de Gupitan, commune de Kapalong (pas noté son nom). « Les soldats nous forcent parfois à servir de guides dans la montagne et nous recrutent de force pour les Alamara (groupe paramilitaire). C’est une tactique pour diviser la communauté, opposer les indigènes entre eux. Plusieurs dirigeants indigènes ont été assassinés par les paramilitaires. Ou arrêtés arbitrairement ».

Selon le rapport « How many more » de Global Witness : « les Philippines sont le pays d’Asie où le plus grand nombre de personnes ont été tuées pour avoir défendu leur terre ou s’être mobilisées pour la protection de l’environnement (…) 15 défenseurs de l’environnement, dont 9 indigènes, ont été assassinés aux Philippines entre 2001 et 2014 ».

Sidro Indao, porte-parole de PASAKA (Southern Mindanao Lumad Confederation). « Le gouvernement veut nous expulser pour ouvrir nos domaines ancestraux aux investissements étrangers. Pourquoi croyez-vous que 60 % des forces armées des Philippines sont stationnées dans le sud de Mindanao ? La zone du Pantaron Range*, par exemple, intéresse l’IndoPhil Mining Co – c’est une filiale du géant australien Xstrata. Y’a aussi une compagnie malaisienne qui lorgne sur des terres où développer ses plantations de palmier à huile et un projet de centrale hydroélectrique. Pour faciliter la pénétration des entreprises, le gouvernement construit des routes. Ils oublient que le Pantaron Range est un bassin versant où prennent leur source les principaux cours d’eau de la région, que c’est un territoire couvert de vastes forêts primaires qui, pour nous lumads, sont notre supermarché et notre pharmacie ».

* Région située à cheval sur les territoires des communes de Talaingod, Kapalong et Butuan.

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