Philippines 2015

Philippines

Carnet de reportage / Mindanao (2) Davao

Où il sera question (par ordre alphabétique) de : billard, café, Davao, escadrons de la mort, flics à la gâchette facile, jambes brisées à coups de marteau, paysans dressant des barricades, ressources minières.

Davao, 1,2 millions d’habitants, troisième agglomération des Philippines (après Métro Manille et Cebu). Mon camp de base pour ce reportage. La région de Compostela Valley, au nord de Davao, étant conflictuelle – forte présence de la NPA (Nouvelle armée du peuple, guérilla d’obédience communiste), militaires et paramilitaires, milices des compagnies minières… -, une visite sur place se prépare. Organisations paysannes, indigènes, de défense des droits humains, écologistes : je frappe à plusieurs portes. Entre deux rencontres, j’arpente la ville. De jour, de nuit. Ça donne des images qui n’ont rien à voir avec mon sujet – que vient foutre un club de billard dans cette histoire ? Et je prends des cafés, des notes, le temps de lire la presse – les trois vont bien ensemble.

Davao, une ville réputée pour sa tranquillité. Explication ? On y élimine les « criminels » sans s’embarrasser des lourdeurs de l’appareil judiciaire ni se préoccuper de ce que pourront en dire les défenseurs des droits humains. C’est le maire, Rodrigo Duterte qui le dit. En finir avec l’insécurité dans les écoles et autres campus universitaires n’est pas plus compliqué : il suffit de briser les jambes des jeunes délinquants. A coups de marteau, précise-t-il.
Élu maire de Davao en 1998, Rodrigo Duterte est réélu à plusieurs reprises. Et il met ses théories en pratique. Quand elle procède à une arrestation, la police a la consigne (officieuse) de « tirer pour tuer » à la moindre velléité de résistance et, selon Human Right Watch, des escadrons de la mort agissant avec la bénédiction du maire, seraient responsables de plus de 1000 exécutions extrajudiciaires entre 1998 et 2008.
Les prochaines élections présidentielles auront lieu en 2016. Rodrigo Duterte devrait être candidat.

Dans la presse : Duterte à propos des criminels : « tous les tuer » / Duterte on criminals: « Kill all of them » (Philippines Daily Inquierer du 15/05/2015)

Duterte prévient les délinquants juvéniles : « je vous casserai les jambes » / Duterte warning to juvenile delinquents: « I’ll break your legs » (Mindanews du 18/05/2015)

Human Right Watch demande au gouvernement d’enquêter sur les liens présumés entre le maire et les escadrons de la mort / Probe Mayor’s Alleged ‘Death Squad’ (Human Right Watch 19.05.2015)

Je voulais discuter la question des exécutions extrajudiciaires et des escadrons de la mort avec Hanimay Suazo, secrétaire régionale de Karapatan, une des principales organisations philippine de défense des droits humains… Mais nous parlons d’autre chose. Des (mauvaises) nouvelles arrivées la veille de Compostela, municipalité située à la limite des provinces de Davao del Norte et Agusan del Sur. Quelques 500 paysans de la Compostela Farmers Association ont érigé des barricades pour s’opposer à l’entrée des bulldozers de la compagnie minière Agusan Petroleum and Minerals Corporation (AgPet). La compagnie est une filiale de San Miguel Corporation (voilà ! je tiens ma relation entre les photos du club de billard et mon sujet : les abat-jour estampillés San Miguel Beer) propriété de Danding Cojuangco, un oncle du président Aquino (les Cojuango sont l’une des grandes familles qui tirent les ficelles – et de substantiels profits – du pays). AgPet a obtenu deux permis d’exploration dans les municipalités voisines de Compostela et New Bataan (il y a beaucoup d’or dans la région). Les concessions couvrent quelques 12.400 hectares d’un territoire sur lequel vivent et travaillent aujourd’hui une douzaine de communautés – petits paysans, indigènes, mineurs artisanaux (les uns ou les autres pouvant être les deux voire les trois à la fois).
Les barricades c’était la veille (21 mai). Depuis, Hanimay ne parviens plus à joindre les paysans de Compostela, Ses SMS restent sans réponse, la communication ne passe pas. Elle craint une intervention des militaire. « Plusieurs bataillons sont basés dans la région, explique-t-elle. Les soldats s’installent dans les hameau, parfois chez les habitants. Ils font boire les femmes pour en abuser, accusent les maîtres d’écoles communautaires et les auxiliaires de santé (envoyés par des ONG) d’être des relais de la guérilla, forcent des paysans à s’engager dans les CAFGU (Citizen Armed Force Geographical Unit, paramilitaires) ».
Pas plus de nouvelles au moment de mettre ce texte en ligne.

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