Philippines 2015

Philippines

Carnet de reportage / Mindanao (4) La grève la plus courte

Un quart d’heure de grève a suffit aux travailleurs de la compagnie bananière SUMIFRU pour contraindre la direction à renoncer à imposer un salaire « aux pièces ». Qui dit mieux ?

Compostela. Municipalité de la province de Davao del Norte. Forte présence de la NPA (Nouvelle armée du peuple, bras armé du Parti communiste philippin) dans les zones montagneuses. Plusieurs communautés indigènes (on en reparlera). Population essentiellement rurale. Importantes cultures vivrières – et d’abord du riz –, jusqu’à l’arrivée de la multinationale bananière Dole-Stanfilco (1992).

Les premiers syndicats dans les ateliers de conditionnement des bananes sont des jaunes. Pas à l’atelier 98, dans le barangay* Osmeña. Le NAMAOS (Travailleurs unifiés d’Osmeña), fondé en 1995, est affilié au KMU (Kilusang Mayo Uno – Mouvement du 1er mai – la plus puissante et plus radicale centrale syndicale des Philippines). Luttes dures, en plusieurs occasions victorieuses, dans les années qui suivent. Le NAMAOS fait école : les travailleurs d’autres ateliers de conditionnement créent des sections syndicales affiliées au KMU.

Quand Dole-Stanfilco se désengage de la région, la compagnie japonaise SUMIFRU prend le relais (2004).

SUMIFRU. Filiale du géant nippon Sumitomo Co – présent dans à peu près tous les secteurs de l’économie : industrie lourde, mine, construction navale, électronique, assurances, banque, chimie, construction, agro-industrie, exploitation forestière…
SUMIFRU exporte ses bananes vers la Chine, le Japon, la Corée du Nord, la Nouvelle-Zélande, le Moyen-Orient.
SUMIFRU. A Compostela, en 2015, les bananeraies de la compagnie s’étendent sur 2.700 hectares**. Les fruits sont traités dans 11 ateliers de conditionnement. Environ 5.000 travailleurs. Le taux de syndicalisation au KMU est d’environ 50 % dans les ateliers de conditionnement (5 d’entre eux ont des sections syndicales affiliées au KMU), 15 % seulement dans les plantations où la part des travailleurs « contractuels », embauchés par l’intermédiaire d’agences de main d’œuvre est plus importante.

Lors de ma visite au Barangay Osmeña, j’ai passé la nuit chez Melodina Gumanoy, secrétaire de la section locale du KMU (NAMAOS). Elle dénonce le harcèlement dont sont victimes les militants syndicaux du KMU de la part de l’armée et des groupes paramilitaires (CAFGU) : « Ils nous accusent de faire partie du NPA (…) Les militaires sont entrés chez moi à plusieurs reprises (…) En 2005, un dirigeant syndical a été abattu dans une embuscade tendue à sa sortie du travail ».

SUMIFRU a refusé ma demande de visite, présentée par le KMU, à l’un des ateliers de conditionnement.

Mars 2015. La direction de SUMIFRU annonce que les salaires seront désormais calculés « aux pièces ». Une perte de 50% par rapport au système horaire, estiment les syndicats. La mesure fait l’unanimité… contre elle. Les travailleurs se regroupent dans le BIGWAS (Banana Industry Growers and Workers Against SUMIFRU). Manifestation devant les portes de la compagnie (10 avril). Mot d’ordre de grève (22 avril). Neuf des onze ateliers suivent le mouvement. Ils n’auront même pas le temps de cesser le travail : un quart d’heure après le début de la grève – la plus courte de l’histoire ! plaisantent les travailleurs – la direction de SUMIFRU recule, accepte le retour au système horaire et le règlement du manque à gagner depuis la mise en œuvre du salaire aux pièces.

* Division administrative, le barangay est l’équivalent d’un quartier en zone urbaine, d’un village en zone rurale.
** Deux fois moins qu’avant le typhon Pablo qui, en 2012, a ravagé la région et détruit une grande partie des plantations.

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