Philippines

Métro Manille (7) Mangerie

Une mangerie (traduction libre de l’anglais « eatery ») – t’es pas sûr qu’il soit nécessaire de préciser mais tu précises quand même – c’est un endroit où tu manges, pour pas cher, une cantine, une gargote quoi.

La mangerie que tu fréquentes habituellement ne s’appelle pas, ou peut-être Oseros Canteen – c’est marqué sur la chemisette de certains employés mais rien sur la façade.
D’abord y’a pas de façade, c’est ouvert sur la rue.
T’arrives, tu prends un plateau, tu montres le plat que tu veux – adobo* de porc ou de poulet, calamars nains cuits dans leur encre, morceaux de cochon de lait rôti, abats de volaille dans une sauce brune aux oignons doux, nouilles frites, aubergine panée, poisson bouilli, en sauce, frit… –, la serveuse t’en met une portion dans une petite assiette, te demande combien de riz tu veux – un, deux ?
Y’en a qui en prennent plus, toi c’est généralement deux – deux portions, ouais.
C’est dans une grande marmite, la serveuse pioche avec un bol, tasse un peu et hop ! elle démoule ton demi-ballon de riz sur une assiette.
Après, tu passes à la caisse – normalement, t’en as pour cinquante ou soixante pesos (moins d’un euro) –, tu prends des couverts – fourchette, cuillère, jamais de couteau – qui trempent dans un récipient rempli d’eau chaude, quelques serviettes en papier, un cure-dent, un petit piment, un de ces minuscules citrons verts qu’on appelle calamansi (le piment tu le débites en petits morceaux dans une coupelle, tu presses le citron dessus et tu rajoutes de la sauce de soja).
Puis tu cherches une place.

Tu viens à peine de t’assoir que ce connard de Jojoey s’installe en face de toi.
Et merde !
L’autre jour, il t’as bassiné avec une histoire d’ex-flic ripoux qui avait kidnappé un touriste coréen qui venait de retirer du fric à un distributeur de Makati puis avait tenté de forcer un barrage de police mais les flics avaient ouvert le feu et le bandit avait perdu le contrôle de son véhicule mais était parvenu à s’échapper et s’était fait cueillir un peu plus tard à son domicile.
Toujours des truc à rallonges, avec des détails que tu te demandes d’où il tire ses informations.
Et toi, là, maintenant, t’as juste envie de retourner fissa au projet de tatouage que t’as laissé en plan sur ta table de travail.
Mais Jojoey c’est ton voisin et il est plus âgé que toi et tu lui dois le respect et tu l’écoutes et t’as droit à la saga d’un gang de voleurs de voitures que la police vient de démanteler et la maîtresse du chef des gangsters a trente ans et elle a été arrêtée aussi et ils avaient des explosifs dans leur garage et des stocks de fausses plaques et de faux permis de conduire et des paquets de méthamphétamines qu’on appelle shabu aux Philippines et tu sais pas comment te débarrasser de ce connard de Jojoy et tu parviens enfin à t’échapper et tu rentres chez toi et… y’a la fille du métro qui attend devant ta porte.

à suivre…

* L’adobo c’est un des plats les plus populaires des Philippines. Tu le prépares avec du porc, genre rouelle, que tu coupes en morceau sans enlever la couenne et tu fais cuire au moins une heure dans une marinade où t’as mis un peu d’eau, un peu d’huile, du vinaigre, de la sauce soja, de l’ail écrasé, des oignons émincés, une carotte ou deux coupées en rondelles, du laurier, du thym, du romarin, du poivre, du piment. En fin de cuisson tu rajoutes des pommes de terre et une grosse cuillerée de sucre roux.