Première étape d’un périple le long des côtes de la péninsule malaise, de Sumatra, de l’archipel de Riau et du golfe de Thaïlande avec, comme fil directeur, des bateaux et ceux qui les montent – cargos, pétroliers, chalutiers, remorqueurs, barges, ferries ou pirogues, matelots et capitaines ad oc, pêcheurs ou pirates : ils seront nombreux à peupler les pages de ce journal de bord.
L’image satellite de Google montre une vaste étendue sableuse, vide, située à l’embouchure du fleuve. Contours mal définis – le plan et l’image satellite ne concordent pas –, les formes oblongues de barges et de cargos sont échouées le long du rivage et parfois plus loin à l’intérieur des terres. Ça ressemble à une casse, un cimetière de bateaux. A peine débarqué à Malacca, mes bagages posés à l’hôtel, je pars en reconnaissance vers la mer. Un pont enjambe le fleuve. Après, c’est un alignement géométrique de constructions récentes : hôtels, bars, restaurants, locaux commerciaux vides pour la plupart. C’est aseptisé, moderne, presque désert. Je n’ai aucune peine à reconnaître la zone repérée sur Google. Une palissade de tôle la délimite. Assis dans sa guérite à côté du portail d’entrée, un vigile somnole. Il hésite un moment, puis m’accorde deux heures pour faire des photos. Je n’en demande pas plus. Changement de perspective, mais c’est bien la même étendue de sable – sous le soleil ce doit être éblouissant, hélas, le ciel est voilé et la lumière plutôt grise. Une ancre noircie par la rouille, elle doit peser plusieurs tonnes, un bout de filin gros comme mon bras y est encore attaché. Je m’approche des carcasses échouées. Il y a celles qui ne reprendront jamais la mer et celles qui seront rafistolées, peut-être avec des morceaux des précédentes. Quelques hommes armés de chalumeaux, des ouvriers. Peu nombreux. Des types venus en 4X4, chefs-de chantier, hommes d’affaires ? Compresseurs, treuils, câbles, poulies, filins, pots de peinture, cambouis. Au dessous de le ligne de flottaison, la coque d’un cargo à l’agonie est couverte de coquilles d’huîtres et d’algues séchées. La mer est calme, grise. A quelques encablures de la côte, un navire est au mouillage. L’Orkim Harmony ? Non, celui-là est un porte-container.
L’Orkim Harmony est un pétrolier : 7.300 tonneaux, 106 mètres de long sur 19 de large, coque noire au dessus de la ligne de flottaison, rouge en dessous, battant pavillon malaisien. Le 11 juin 2015, il appareille de Malacca, chargé de 6.000 tonnes de pétrole. A son bord, un équipage de 22 marins (16 malaisiens, 5 indonésiens et 1 birman). Le navire est attendu le lendemain, en milieu de matinée, au port de Kuantan, sur le versant oriental de la péninsule malaise. Mais un peu après 21 heures, l’Orkim Harmony disparaît des écrans du système d’identification automatique basé à Singapour. Sa dernière position, enregistrée à 20 heure 54, le situe à 17 miles nautiques de l’île d’Aur, dans les eaux malaisiennes. Les tentatives d’établir une communication radio se soldent par un échec : l’Orkim Harmony ne répond plus.
Malgré ls patrouilles aériennes et l’alerte lancée aux navires croisant dans le golfe de Thaïlande, les jours suivants s’écoulent sans nouvelle du navire et de son équipage.
L’Orkim Harmony appartient à la compagnie Magna Meridian. La semaine précédente, une autre unité de la même compagnie, l’Orkim Victory, a été abordée, à la nuit tombée, par un groupe de huit pirates armés de revolvers et se déplaçant en vedette rapide. Les assaillants ont enfermé l’équipage et détourné le bateau vers un point où les attendait un autre navire citerne. Après avoir siphonné 770 tonnes de diesel, dérobé les effets personnels de l’équipage (téléphones portables et argent liquide) et mis hors d’état le système de communication, ils ont abandonné l’Orkim Victory. L’attaque a eu lieu dans les parages de l’île d’Aur, à peu de distance de la dernière position connue de l’Orkim Harmony. Le scénario est-il en train de se répéter ?
… à suivre
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